Il y a plus de trente ans, Carol Beckwith et Angela Fisher se sont rencontrées au Kenya. Depuis lors, ces amies ont voyagé ensemble, exploré et photographié l’Afrique et tenté de capter la beauté des autochtones et des cultures du continent. Elles ont réalisé un portrait photographique diversifié de plus de quarante pays et cent cinquante cultures différentes et ces voyages les ont amenées dans certains des coins les plus reculés d’Afrique. Aucun autre artiste n’a capturé autant d’images de pratiques culturelles et rituelles authentiques. Leurs images reflètent leur regard plein de couleurs et de vie sur un monde en voie de disparition.
Le travail de Beckwith et de Fisher a été exposé dans des musées du monde entier et elles ont eu des rétropectives dans des institutions comme le Musée des Beaux-Arts de Boston, le National Geographic Museum, le Smithsonian Museum of African Art et le Musée de Brooklyn. Elles ont fait quatre films qui expriment également leur intérêt et leur amour pour l’Afrique, et publié plusieurs livres primés tels que le double volume Magnum opus, African Ceremonies (Abrams, 1999). Beckwith et Fisher ont reçu le Prix d’excellence de la Société des écrivains et artistes des Nations Unies pour « leur vision et leur compréhension du rôle des traditions culturelles dans la poursuite de la paix mondiale » et ont été spécialement honorées par Kofi Annan en 1999. On leur a également décerné le LifeTime Award de Wings. Beckwith et Fisher veulent absolument terminer leur constat sur les cultures d’Afrique en voie de disparition et léguer un héritage pour les générations futures, tout en apportant ces anciennes valeurs intemporelles dans notre monde du vingt et unième siècle.
Qu’est-ce qui vous a réunies ? Cela a-t-il commencé par une amitié et évolué en relation de travail ? Ou l’inverse ?
Nous nous sommes rencontrées pour la première fois en Afrique en 1979. Carol travaillait à son livre Maasai et Angela à son étude panafricaine de bijoux, Africa Adorned. Le père de Carol est venu au Kenya lui rendre visite et lui a offert pour son anniversaire un vol en ballon au-dessus du territoire des Maasai Mara. Celui qui manœuvrait le ballon était le séduisant frère d’Angela, Simon. À mille pieds en l’air, Simon a regardé Carol dans les yeux et a dit : « Il y a quelque chose que j’aimerais vraiment te dire. » Le cœur de Carol s’est mis à battre très fort. Simon a continué à la regarder et a dit : « J’aimerais vraiment que tu rencontres ma sœur. » Le cœur de Carol s’est calmé. Simon a passé plusieurs mois à organiser une réunion entre nous deux, et un an plus tard, nous nous sommes rencontrées à l’exposition de bijoux traditionnels d’Angela à Nairobi. Simon avait raison : nous étions vraiment des âmes sœurs qui partagions toutes les deux l’amour des cultures traditionnelles et du mode de vie nomade. Une semaine plus tard, nous étions en train de photographier côte à côte lors d’une cérémonie de guerriers Maasai à la frontière du Kenya et de la Tanzanie. C’est le début d’une collaboration de trente-cinq ans – nous avons traversé le continent africain de part en part, visité quarante pays et étudié cent cinquante cultures différentes. Ensemble, nous avons fait quinze livres ensemble. D’emblée, nous avons convenu de signer toutes nos images avec un copyright commun, afin que nos égos n’interfèrent pas avec notre travail et notre amitié.
Pourquoi votre travail est-il uniquement axé sur l’Afrique ? Qu’est-ce qui vous a incitées à y voyager en premier lieu ?
Nous avons été captivés par la beauté, la diversité et l’immensité de l’Afrique – avec ses cinquante-quatre pays, mille trois cent cultures et sa géographie incroyablement dramatique. Toute une vie ne suffirait pas pour lui rendre justice – et nous prévoyons donc de vivre chacune cent cinquante ans pour terminer notre documentation sur ce continent vaste et magnifique.
Au départ, Carol a voulu explorer des cultures dont les formes d’art étaient motivées par le désir d’améliorer la qualité de vie et la nécessité de protéger l’existence. Angela a été attirée vers l’Afrique d’abord par une fascination pour les peuples nomades qui, ne pouvant acquérir des sculptures ou des monuments, concentrent toute leur créativité sur la décoration et la parure de leur corps. Il s’agit non seulement de créer quelque chose de beau, mais d’utiliser des symboles codés et des informations qui, une fois interprétées, ouvrent une fenêtre secrète sur leur vie.
Quel impact l’incertitude et la difficulté des conditions politiques et économiques en Afrique ont-elles eu sur votre travail ?
Travailler dans des situations politiques et économiques incertaines ou dangereuses a souvent eu un impact sur notre travail. Au Soudan du Sud, nous avons dû attendre près de deux décennies pour que la guerre civile se termine entre le Nord islamique et le Sud chrétien et animiste afin de compléter notre livre, Dinka: The Legendary Cattle Keepers of Sudan (Dinka: Les éleveurs de bétail légendaires du Soudan)
Pour compléter notre livre African Ark (l’Arche africaine) nous avons dû convaincre le gouvernement marxiste éthiopien de nous amener en Érythrée, un pays avec lequel ils étaient en guerre, et de nous protéger pendant notre séjour là-bas. Ils ont finalement accepté de nous emmener en Erythrée pendant la saison des pluies parce que personne ne voulait se battre à ce moment-là. Ils ont également accepté de déminer les routes pour nous permettre de documenter les cultures anciennes de ce qui était alors l’Ethiopie du Nord. Notre projet de livre de deux ans a duré cinq ans.
Quels sont les plus grands défis que vous ayiez rencontrés pendant votre travail ?
Logistique du calendrier : comment prévoir la date des cérémonies, souvent en étudiant le calendrier lunaire. Comment s’y rendre ? Choisir d’y aller en véhicules à quatre roues motrices, en caravane de chameaux, avec un train de mules, en bateau par dhow, en pirogue ou à pied ? Que manger ? Apporter nos vivres ou profiter de la cuisine locale autour du feu de camp ? Comment obtenir la permission de photographier des cérémonies ? Nous nous asseyions sous un acacia et devenions amies avec le chef du village, en créant un climat de confiance, et nous ne sortions pas nos appareils photos avant d’être acceptées par la communauté. Comment remercier la communauté de nous avoir ouvert leur monde ? Nous avons rassemblé les aînés et leur avons demandé ce dont ils avaient le plus besoin pour assurer leur survie et améliorer leur qualité de vie, en veillant à ce que leurs projets ne dépendent pas de nous pour leur durabilité. Comment recueillir des fonds pour mener à bien des projets locaux de remerciements ? Nous avons créé une fondation, African Ceremonies, Inc., afin d’enregistrer et de préserver les anciennes traditions d’Afrique, ainsi que de mettre en œuvre les projets importants dont ont besoin les communautés avec lesquelles nous avons travaillé.
Propos recueillis par Sara Tasini
Cet entretien fait partie d’une série menée par la Galerie Holden Luntz, basée à Palm Beach, en Floride.
Galerie Holden Luntz
332 Worth Ave
Palm Beach, FL 33480
Etats-Unis