Tenir un carnet de route des soirées de la semaine d’ouverture des Rencontres d’Arles revient à jouer l’équilibriste, jongler avec les mondanités, souhaiter ne pas être trop ennuyeux, ne pas tomber dans l’écueil des répétitions des noms et soirées, bref rendre compte d’une atmosphère électrique avec distance et humour. Entre les vernissages, les soirées d’ouverture, les projections, l’agitation remue la ville camarguaise. Impossible de tout faire, chaque jour amène son lot d’imprévus.
Passée la semaine d’ouverture, le festival adoptera un rythme de croisière plus lent. Seules restent alors les expositions, les accrochages officiels aux cimaises, ceux plus sauvages parmi le dédale des rues et leurs murs défraîchis mais surtout, des souvenirs, un joyeux bordel de souvenirs. Fouillons un peu. Pendant près d’une semaine, tout un monde joyeusement amouraché, l’appareil au cou, l’œil brillant. Les robes voltigent, soulevées par le mistral frais des soirées lourdes, la foule de photographes se délecte. Au passage, on saisit le pouls d’une ville-exposition : « ah oui, c’est fantastique cette année. Autant d’expositions en OFF… Comment tout faire ? Et tu exposes aussi ? Et bien mon vieux j’irai te voir ». Et l’on comprend la profonde mutation que vit Arles : « Et tout de même, le privé, c’est pratique. Les salaires sont meilleurs ! Regarde-moi, chez Luma, tout ce qui s’y passe…», et puis les vieilles rengaines des baroudeurs : « Et tu devrais jouer avec de vieilles pellicules Tmax… J’en ai trouvé quelques-unes dans le grenier, je te ferai voir ». Et l’on conclut sa nuit par d’innocentes escapades du cœur : « oh le lourd, il m’a pas lâché de la soirée« .
Il y a bien l’effervescence des galeries et des artistes. De grandes expositions dans le IN comme dans le OFF. Rue de la Roquette, une Italienne, ancienne étudiante de l’École Nationale de Photographie juge la programmation OFF plus pertinente et moins lissée que celle du IN. Pour elle, Arles est un hasard renouvelé chaque année. La récurrence des surprises vous fait entrer dans un conte. Il se passe de curieuses choses, presque une comédie sociale, qu’apprécierait particulièrement Balzac. Et chacun joue sa propre partition. Il faut être de ce théâtre, jouer son rôle dans cette vaste pièce sans direction ni dénouement.
Ainsi, lundi entre en scène William Klein dans la Chapelle du Méjan. Autour s’amasse une foule d’admirateurs. C’est à celui qui glissera son petit mot tandis que l’intéressé blague autour de ces photographies. « Ah tiens, elles sont ici celles-ci. Damned ! ». L’intéressé sera lui-même surpris : son association avec Eikoh Hosoek détonne. L’accrochage est d’une rare finesse, la photographie soyeuse et profonde. Dans la foulée, on quitte la fraicheur des chapelles pour se mêler aux grandes foules de Cosmos Arles Book, arpenter les stands d’éditeurs et feuilleter un livre par-ci, un autre par-là. On s’y ruinerait, tant les livres attirent le regard. Noël avant l’heure, la bourse craque, la valise s’alourdit. Le lieu choisi par Cosmos surprend agréablement. Dans la cour de l’ancien collège Mistral, sous un chapiteau ou dans la fraicheur des anciennes classes délabrées se succèdent les éditeurs. De belles rencontres, notamment avec la maison d’édition Akio Nagasawa. D’autres lieux plaisants cette année : les friches du bord de gare SNCF (Ground Control) et la chaleur d’Africa Pop (une réussite, assurément) ; la Fondation Luma, encore elle, qui peu à peu reverdit les anciennes halles…
D’autres belles (re)découvertes : les travaux de Louise Narbo, exposés par le collectif In the Kitchen, installés pour l’occasion rue du Pont. Ces travaux mélangent brillamment l’aléatoire des mots apposés à des photographies. Son livre Coupe Sombre se lit comme un journal, pénètre dans l’intimité de l’autoportrait, bien aidé par une mise en page soignée. Il nous faut partir et remonter la rue du Pont, prendre à gauche, et s’attarder devant le Magasin de Jouets. Fisheye Magazine s’installe jusqu’au 15 septembre. Probablement une des plus belles expositions collectives de la semaine. On The Road présente notamment les travaux de Théo Gosselin et Maud Chalard, une somme de courbes adolescentes dans la fraicheur d’une balade américaine. Puis l’on découvre de jeunes pousses : Brice Portolano, Julie Hascoët. Surveillons ces noms…
Parmi ces lieux superbes, une jeunesse prend forme. Elle dépasse les âges, se fiche des générations. Une jeunesse faite d’effusions et de merveilles. C’est Arles. Pourtant dans sa quarante-septième année. On la vit comme une courte nuit, au fur et à mesure. Chaque matin elle nous embrasse, jamais reposée. Elle est une fête, un bonheur. Les étrangers ne s’y trompent pas : des filiformes danoises aux très pressés habitués d’outre-Atlantique ; des prêtres orthodoxes aux touristes émerveillés, les clichés s’accumulent. Et puis Arles enfin se fatigue et s’endort. Jusqu’à l’année prochaine.