Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Il n’y a plus de limite, plus aucune limite. A chaque fois que nous sommes confrontés à des images médiocres, nous imaginons que nous sommes arrivés au fond du trou, nous ne pouvons envisager qu’il puisse encore exister un bonus dans la médiocrité. Je suis désolé de vous détromper, après un demi siècle de réalisation et de fréquentation dans le monde photographique sous tous ses aspects, il y a toujours des records à battre, dans le salopage du travail. Ce qui m’étonne le plus, c’est la propension de certains à mettre en valeur ces photographies désastreuses sous des prétextes fallacieux pour des objectifs avoués souvent sidérants.
A l’heure des mutations profondes dans l’utilisation de la photographie, serait-il possible de s’interroger sur l’utilisation des outils photographiques et surtout leur utilisation. Nous n’évoquerons pas tous les contenus, aussi divers que variés, qui englobent tant de l’interprétation que de la création (badigeonnée à toutes les sauces par les temps qui courent).
Je vais me cantoner à la pure réalisation technique d’une image photographique.
Celle qui doit être réalisée par « l’homme de l’art » – pour son travail photographique -. Au passage, je me suis toujours imaginé que la mention « artiste » sur les cartes qui me sont tendues régulièrement concernait bien la réalisation du travail technique qui était sous mes yeux ! Le doute s’installe régulièrement pour plusieurs raisons. La première est que tous les – vraiment – grands photographes qui réalisent matériellement l’intégralité de leurs images se sont presque toujours présentés comme « artisan » ce qui n’enlève rien à la perfection de leur travail. Secondement, les ceux-ce qui se prétendent « artistes », affichent le plus souvent des images dont la réalisation est ni faite, ni à faire. Comme leur apropriation d’un titre ne peut manifestement pas venir de leur savoir faire, vous allez penser qu’il s’agit de leur créativité en devenir, ne rêvez pas. Je ne veux pas m’attarder sur le fond ; mais, il est patent que très souvent le fond et la forme vont de pair.
Comment, la photographie s’engouffre-t-elle dans cette spirale descendante infernale ? Pour l’essentiel, j’y vois deux acteurs qui conjuguent leur effort pour nous faire, sur le travail de la lumière, prendre des vessies pour des lanternes. Le groupe des premiers est constitué des auteurs de photographies qui sont totalement ignares sur la transformation d’une image (toutes technologies confondues). Le second volet concerne des parasites qui, pour la plupart, vivent de la photographie… – des autres -.
Commençons par notre photographe, qu’il sorte d’une grande école d’ingénieur en photographie, d’un centre de reconversion, d’un bac dit de technologie ou qu’il soit autodidacte, sauf quelques rares exceptions, il ignore tout du principe de la photographie, des techniques de la photographie, des technologies photographiques. Mieux que cela c’est encore possible, mais si, il ignore souvent le fonctionnement de son propre appareil de prises de vues. Il faut préciser que les modes d’emploi, lorsqu’ils sont livrés dans la boite, avec l’appareil, se situent entre les vieux annuaires téléphoniques et l’encyclopédie de grand papa. Ce n’est pas mieux avec le mode d’emploi dit « pdf » qui attend planqué sur internet.
Vous imaginez bien que si nos « artistes photographes » ne maîtrisent pas vraiment leur – usine à gaz – (beaucoup se limitent au point vert sur l’appareil), ils rencontrent quelques difficultés devant une cuvette de révélateur ou un traceur de douze couleurs (bien que lui aussi avec la conception binaire possède un point vert). Mieux encore, combien de fois n’ai-je entendu : je ne travaille qu’avec le meilleur laboratoire du pays et il met exceptionnellement le meilleur tireur à ma disposition. Vu les résultats obtenus, le tireur est en parfaite cohérence avec le niveau du photographe et de ses images. Souvent, ils sortent tous les deux du même moule. Ainsi, le même niveau de compétence s’impose et tant pis pour nos yeux meurtris et nos cerveaux perdus dans l’incompréhension.
C’est un peu, d’aucuns diront que c’est la totale réalité, de l’étatdes lieux actuel des médiocres photographies qui se pavanent sur des cimaises désespérées, dans des pages de livres inutiles, dans des galeries sinistres. Pour ce qui est de l’auteur, cette insuffisance technique, même si elle reste inexcusable, elle peut se comprendre de la part de quelqu’un incompétent pour juger de son propre travail.
Quand, il s’agit de la bande des satellites, nous sommes déjà arrivés au-delà de l’inexcusable. Tout ce nouveau petit monde qui se gave, sans vergogne, sur le dos des images photographiques, sans en avoir le moindre respect. Sauf, bien entendu, à se trouver toujours de très bonnes excuses pour les délits qu’ils commettent. Combien de galeries photographiques sont-elles apparues, comme des champignons ces dernières années ? L’analogie avec le champignon semble de circonstance automnale ; puisque s’il en est des délicieux, la majorité est sans saveur, voire vénéneuse lorsqu’ils ne sont pas mortels.
Comme pour les auteurs, je n’évoquerai pas le fond, pour ces nouveaux galeristes, avec leur incapacité de définir une œuvre de qualité porteuse. Ils associent, avec beaucoup d’enthousiasme, les défaillances techniques à de l’art contemporain dont ils s’imaginent déjà les futurs gourous.
Pour la forme, je suis souvent béat devant ces images techniquement pitoyables que curateurs, administrateurs culturels et autres directeurs de musées ou de galeries osent accrocher à leurs cimaises, en toute inconscience. Il faut préciser que le terme « cimaises » est purement fictif puisqu’il s’agit très fréquemment de punaises, de pinces à linge, de rubans collants, de pinces à dessin ou de tout autre système susceptible d’endommager les œuvres présentées.
Qu’un créateur, dans sa tour d’ivoire, puisse ne pas constater que le résultat de son travail est bâclé, je peux l’entendre à défaut de le comprendre. Il demeure incompréhensible qu’un professionnel de la Culture (se revendiquant de l’Art) soit incapable d’identifier la qualité des œuvres et de les rejeter, sans état d’âme. Toutes ces réalisations techniquement insuffisantes, sont limites d’une escroquerie tant pour le créateur de l’œuvre que pour les amateurs confiants et naïfs.
Le photographe d’aujourd’hui ne gagne plus sa vie. Il y contribue certainement avec la médiocrité de ses réalisations, fortement encouragé par la palanquée de soi-disant accompagnateurs plus passionnés par les aspects lucratifs que par les valeurs indispensables à la pérennité des œuvres.
Thierry Maindrault, 13 octobre 2023