L’Œil de la Photographie vous présente ici une sélection de couvertures emblématiques et d’archives photographiques du magazine L’Insensé datant du début des années 2010, après 20 ans d’existence. Une sélection parmi trois nouveaux remarquables numéros.
L’Insensé 20 ans (2011)
Pour cet anniversaire, la revue avait demandé à plusieurs personnalités du monde photographique de sélectionner des coups de cœur et d’en parler.
L’éditeur José Alvarez au sujet d’une photographie d’Helmut Newton : « Absolu, comme le sont très souvent les grands créateurs, Helmut me séduisit immédiatement par l’intelligence et la rigueur de sa vie, la pertinence de son œuvre, pertinente au risque de déplaire ou de choquer. Le cercle de ses intimes se résumait à sa femme June et à une poignée d’amis. J’aimais en lui le dandy insolent, à l’attitude morale exemplaire. Jamais il ne fit état de son drame personnel et encore moins n’en fit son fond de commerce – une seule évocation, en quarante ans d’amitié. Nous regardions Holocauste et je le sentis pour la première fois très ému, au bord des larmes. A la fin du film, après avoir éteint le téléviseur, il lança avec un sourire ironique : “Je devrai réclamer des droits d’auteur, tellement cette histoire ressemble à la mienne.” A ses côtés, June était un compagnon de route apportant la part d’invention et de modernité nécessaire à leurs évolutions réciproques. Il me manque. »
L’écrivain Jean Echenoz au sujet d’une image de Cindy Sherman : « J’ai toujours eu le sentiment absurde que cette photographie s’adressait spécialement à moi, comme pour me rappeler pas mal de choses oubliées ou pas, imaginaires ou pas mais inexplicablement familières, ne serait-ce qu’en haut à droite la formule du dry martini : cinq volumes de gin, un infime trait de vermouth, une olive. »
Le photographe Jean-Baptiste Huynh au sujet d’une image d’Irving Penn : « Je n’ai ni l’habitude ni le plaisir de me faire photographier. Pourtant, cette image me touche particulièrement pour l’histoire qu’elle contient. Je n’y vois pas mon visage mais le regard d’Irving Penn, notre amitié singulière et une certaine relation au portrait. Irving Penn et moi partagions une complicité de photographes qui rendait l’exercice encore plus difficile. Quelque part, il livrait ses secrets. L’expérience fut unique et intense : tout au long de la séance de prise de vue, j’ai eu la sensation d’être entièrement façonné, modelé. Me tordant dans tous les sens comme il le faisait avec ses mégots écrasés et ses coquelicots froissés, me demandant de plisser mon visage et de croiser les jambes, pourtant hors cadre, il cherchait les tensions et les nœuds. Irving Penn me faisait prendre les mêmes attitudes que Miles Davis, De Kooning ou Truman capote, qu’il avait photographiés des années auparavant. Je devenais une image. »
Le producteur de cinéma et collectionneur Marin Karmitz au sujet d’un cliché de Gotthard Schuh : « J’aime plus que tout cette image d’une jeunesse rayonnante malgré la dureté de sa condition. Un regard de révolte et de résistance. »
La journaliste Brigitte Ollier au sujet d’une photographie de Bernard Plossu : « C’était un jour heureux dans la maison de Bernard Plossu. A la Ciotat. Il sifflait, le crayon coincé derrière l’oreille, et sortait des photographies des boîtes d’archives, une à une, comme le magicien ses lapins. Je ne suivais pas trop le mouvement des images, Elisabeth, oui, c’était son domaine. Nous préparions un portfolio. Plus tard, nous irions sur la plage manger des churrros et des glaces au 36 parfums : ou peut-être je mélange les saisons, c’était une autre fois. Mais je n’oublierai pas ces trois hommes à quai, l’un d’eux bras ouverts, les yeux au ciel. Le cordage comme un cerf – volant. L’attente. La passerelle vide. Un instant fugitif. Et toujours, avec Bernard Plossu, le sentiment de la couleur quand tout est noir et blanc. »
L’Insensé spécial Russie (2012)
Le peuple russe, sujet privilégié de la photographie soviétique et de ses nombreux mouvements exaltant l’idéologie communiste officielle reste en 2012 le sujet dominant. Le monopole de la diffusion des images des grandes agences soviétiques ayant été dissous, la place se libérait au pro t de nouvelles agences et surtout de lieux dédiés à la photographie : Musées, galeries, écoles.
C’est donc dans un contexte libéré de l’art officiel que s’affirme cette scène entre documents et créations d’avant-garde. Ce numéro de l’Insensé a tenté de rendre compte de cette formidable ouverture et même si la figure humaine retient majoritairement l’attention de cette génération, elle reste avide de nous livrer des témoignages critiques et nécessaires, sur un monde russe des plus complexe.
L’Insensé spécial Chine (2013)
La photographie chinoise se singularise par le développement d’une pratique très élaborée de la mise en scène et l’usage intense du numérique souvent vécu comme libérateur. Nombre de photographes s’exerçant aux performances d’artistes, au body art, vont pérenniser ces expérimentations par l’image, développer leurs propres scénographies, bousculer l’appréhension du réel .Dans la grande tradition du documentaire, de nouvelles déclinaisons du genre vont voir le jour : documentaire utopiste idéalisant la terre natale ou dénonçant la destruction brutale des cadres de vie traditionnels, ou regard critique s’attachant aux marges silencieuses et peu explorées de la société chinoise. Déterminé à ouvrir ses pages à d’autres photographes que ceux qui dominent le marché de l’art, L’ Insensé a ici donné place à des approches sensibles, questionnant les vertigineux bouleversements culturels de l’empire du Milieu.
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