Robert Doisneau avait pour les enfants le regard attendri du grand-père qui reconnaît en eux sa propre fragilité, une certaine nostalgie, le goût de la plaisanterie voire des facéties et une innocence à jamais perdue. Robert, l’orphelin privé de sa mère trop jeune, avait l’habitude de se comparer à cet “enfant papillon”, propre comme un sou neuf avec son tablier au large col blanc, solitaire mais souriant, qui rejoint sur une route pavée serpentant au milieu des usines en brique et des pavillons de banlieue, ses camarades de jeu, sa bande de la “zone”.
Cet espace intermédiaire entre la grande ville et la campagne, ce non-lieu inscrit au milieu des anciennes fortifications où se retrouvent les amants, les gredins et les enfants, bref ce décor d’une infinie tristesse est ainsi planté mais l’enfant sourit déjà aux aventures que son imagination et ses rêves vont lui faire vivre avec ses comparses.
Alors le sujet de prédilection de Robert Doisneau demeure bien évidemment cette bande de gosses livrés à eux-mêmes qui, malgré tout, voient le beau ou le merveilleux dans la carcasse de voiture depuis longtemps à l’abandon, dans le tronc mort qui évoque le gibet de la poterne des Peupliers ou dans les exploits acrobatiques des plus audacieux.
Silencieux mais amical et bienveillant, toujours présent mais dans la discrétion, Doisneau est devenu sans conteste le chantre de ces enfants dont il a observé avec constance l’environnement qui fut le sien au même âge, mais aussi les jeux, leurs peines et souvent aussi la vie trop difficile que certains gosses sans le sou endurent.
Lorsqu’il les photographie en extérieur, libre de travailler les lumières et les contrastes, il aime souligner leur liberté de mouvement, leur vitalité et leur capacité d’improvisation dans le jeu – que ce soit dans leurs acrobaties jambes en l’air et pieds au mur, sur les pentes de la rue de Ménilmontant ou chevauchant fièrement l’aéroplane de Papa.
Depuis ses débuts de photographe, Robert Doisneau a documenté cette jeunesse, qu’elle soit issue de la banlieue qu’il arpente quotidiennement ou des quartiers populaires de la capitale. Il a suivi leurs premiers pas sur les pavés inégaux de la périphérie, sous les ponts bruyants du chemin de fer, puis il rend hommage au courage des jeunes glaneurs de charbon le long du canal Saint Martin et s’émeut du sérieux avec lequel les petits enfants au lait font les courses pour la maisonnée.
Mais s’il a brossé à jamais, avec une infinie tendresse, le portrait multiple de cette enfance ordinaire, c’est un instituteur parisien qui, conscient de la complicité qui existait entre le photographe et les jeunes, a suscité en 1956 le travail sur la vie quotidienne des élèves à l’école, notamment à l’intérieur des classes.
A son habitude Doisneau se fait discret pour se faire oublier et, pendant deux mois, il observe puis photographie les grands et petits moments de la vie de ses jeunes amis : la solitude de l’enfant à lunettes, le bon élève qui se distingue par son doigt levé, la fierté à montrer la dent qui bouge et va bientôt tomber, le regard du cancre vers la pendule, ou le recherche de » l’information scolaire ». Alors tous ces petits riens que nous avions oubliés depuis trop longtemps nous reviennent avec fulgurance et sur la vague de nostalgie qu’ils entraînent, nous demeurons admiratifs devant la subtilité et la délicatesse du propos de Robert Doisneau.
Agnès de Gouvion Saint-Cyr
Delantales sucios y rodillas lastimadas
Jusqu’au 20 juin
Musée des enfants de Buenos Aires
Shopping Abasto
Av. Corrientes 3247
Nivel 2
Buenos Aires