Dans mes images, j’essaye d’échapper à toute classification du reportage; ils montrent l’âme de chaque sujet dépeint et préservent en quelque sorte la mémoire. Des étals surchargés de têtes d’animaux, de pierres, de cornes et de racines mélangées à des masques colorés ou des costumes élaborés en forme de botte de foin. Les couleurs vives se fondent dans une chorégraphie vivante pleine de significations cachées.
Je suis tombé amoureux de ce monde de mémoire ancienne.
Une mémoire avec des aspects différents, des lieux différents mais comme fil conducteur de tout mon travail. Dans l’imagerie occidentale, le vaudou évoque une fascination tribale pour des rituels ancestraux qui intrigue et effraie à la fois. La recherche d’une Afrique authentique encore dense avec ses origines primordiales m’a conduit à rechercher les traces de la plus ancienne religion du monde, au Togo et au Bénin, deux pays peu connus du paysage et du tourisme naturaliste mais riches en groupes tribaux qui préservent encore l’héritage de leurs ancêtres. Selon le peuple togolais, le vaudou est né avec la création et a accompagné l’évolution de l’homme depuis ses origines. Pour être précis, il s’est développé le long du fleuve Mono, frontière naturelle entre le Togo et le Bénin, et repose sur la vénération de la nature et des ancêtres, croyant fermement à la coexistence des vivants et des morts. Le monde des morts se superpose à celui des vivants et il est possible d’y accéder au moyen d’esprits, de masques, de fétiches, de rituels et d’intermédiaires de toutes sortes qui constituent le lien avec la divinité.
Le vaudou peut donc être condensé en un messager de l’invisible à travers lequel l’homme peut contacter Dieu, Mahou, et ses innombrables divinités ou vaudous, comme la terre, l’eau, la justice, la guérison et bien d’autres. Les vaudous sont des esprits créés par Dieu avec la tâche de prendre soin des vicissitudes des êtres humains. Chacun intervient dans un domaine particulier de l’expérience humaine par l’intercession des prêtres accompagnée de leurs rituels collectifs spécifiques. La vie quotidienne de ces populations est profondément imprégnée de gestes, d’amulettes, d’actions, de danses, de sacrifices et de rituels qui rappellent leur lien avec le vaudou. Leur peau est marquée par l’appartenance tribale; leurs vêtements représentent des symboles et des codes religieux; leurs maisons sont protégées par des statues et des fétiches; leur vie communautaire tourne autour des rituels; leur santé physique dépend des remèdes que les prêtres leur suggèrent, et la peur du bien ou du mal guide leurs actions.
Certains individus ont le don de la transe à travers laquelle les esprits peuvent se révéler et s’exprimer et sont capables de prédire l’avenir. De nombreux états de transe ou de nombreux masques, comme le Ghelede, ont des fonctions éducatives et promeuvent des attitudes morales. Tout comme certains fétiches sont capables de transférer des punitions douloureuses à ceux qui se sont mal comportés ou ont mal agi.
Je n’oublierai jamais l’émotion que j’ai ressentie la première fois que j’ai vu un masque d’Egun. Nous étions dans un petit village au cœur du Bénin, la chaleur humide étouffait, l’excitation et la curiosité avaient créé une certaine anxiété, du coup une silhouette colorée et scintillante est apparue éclairée par une lumière puissante comme seul le soleil africain peut l’être. C’était vraiment difficile pour moi de me concentrer et de commencer à photographier, tant était la fascination que je ressentais pour ces masques rituels.
Selon la croyance vaudou, ces masques sont animés par les esprits des ancêtres qui, grâce à des corps transitoires, peuvent communiquer avec leurs familles en donnant des avis et des conseils. En bon photographe, maniaque de l’esthétique, je me suis approché pour réparer un vêtement et on m’a gentiment rappelé que vous ne pouvez pas toucher les esprits: cela pourrait être fatal!
Ce lien avec la mémoire des ancêtres a suscité en moi l’envie de m’immerger dans ce monde et m’a permis d’ajouter une étape à mon parcours artistique avec une réflexion sur le thème de la mémoire. C’est pourquoi j’ai décidé d’accompagner les portraits photographiques avec des tissus locaux, si riches en formes et couleurs symboliques qui renforcent une histoire qui trouve son origine dans la genèse du monde.
Bruno Cattani
www.brunocattani.it
@bruno.cattani