Présentée par L’Œil de la Photographie et inspirée par la légende populaire “Six aveugles et un éléphant”, l’exposition Broken Screen, de Gaia Squarci,encourage les aveugles, les malvoyants et les voyants à faire l’expérience de la photographie avec tous les sens en alerte, proposant un dialogue sur la nature de la vision et ses limitations. C’est un guide pratique d’une visite d’exposition comme étant avant tout un process de découverte.
Dans Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, Denis Diderot s’interroge sur la perception visuelle. Dans son essai, Diderot avance qu’une personne aveugle qui est soudainement capable de voir pour la première fois ne peut pas comprendre immédiatement ce qu’elle voit, et qu’elle doit d’abord passer un certain temps à établir des rapports entre son expérience des formes et des distances, et les images qu’elle a pu découvrir par la suite.
Se plaçant dans la lignée du travail de Diderot, le film Letter on the Blind, For the Use of Those Who See, de l’artiste vénézuélien Javier Téllez, est inspiré de la célèbre parabole indienne. Cette histoire raconte comment chacun des membres d’un groupe d’aveugles touche un éléphant et s’en éloigne avec une interprétation différente de cette expérience, révélant le fait qu’aucune perspective unique ne peut traduire une vérité valable pour tous. Dans le film, nous découvrons des fragments de la vie de chaque personne, leur approche de leur cécité et leur expérience de “reconnaissance tactile”, née du contact avec un éléphant. Le film Letter on the Blind accomplit un exercice difficile en parvenant à communiquer une réalité non-visuelle par le biais de moyens visuels.
Nourrie par la même impulsion créative mais tentant de traduire une réalité visuelle par des moyens non-visuels, l’exposition Broken Screen explore les défis de la représentation visuelle et offre une réflexion sur la lutte pour le contrôle de diverses formes de langage dans une société, la nôtre, où la vue est toute-puissante.
L’exposition présente des photographies qui sont d’abord cachées derrière un rideau. Une description visuelle de l’image et une impression tactile réalisée à partir de la transformation de la photographie sous forme de dessin incite le spectateur à concevoir une image dans son esprit avant de la découvrir (impressions réalisées par Zychem à partir des lignes perspicaces du dessinateur Fray DeVore). Quelques témoignages audio et écrits complètent l’exposition, comme autant de réponses à la représentation subtilement suggestive que Gaia Squarci offre de la cécité.
Pour prolonger la réflexion, deux pièces de l’artiste italien Andrea Cancellieri sont également exposées. La première est un livre d’illustrations s’amusant des attentes visuelles, des jeux de perspective et autres pré-conceptions de représentation : un Sphinx apparaît à travers quelques lignes tracées sous une tête de chat ; une oie nage dans une piscine vide au niveau d’une ligne d’eau imaginaire. L’autre pièce est une proposition délicate et poétique sur l’échec de la perception, prenant la forme d’un livre imbibé de ciment — un livre que personne ne peut ouvrir et lire malgré l’attrait de sa couverture, intrigante et superbe.
Photoville
Broken Screen, de Gaia Squarci
Jusqu’au 28 septembre 2014
Pier 5 – Brooklyn Bridge Park
New York
http://www.photoville.com
http://www.gaiasquarci.com/#/broken-screen/broken_screen1
http://fraydevore.tumblr.com
http://www.zychem-ltd.co.uk