Koprualti
Vendredi 31 mai 2013, alors que la police tentait depuis deux jours de déloger a coups de gaz lacrymogènes les quelques milliers de manifestants s’opposant à la construction d’un centre commercial en lieu et place d’un des rares espaces verts d’Istanbul, les événements ont fédéré une large partie de la jeunesse locale, agacée par la répression de plus en plus systématique que leur imposait le gouvernement. C’était un moment historique pour la Turquie, et les graffitis imprimant « 31 mai » ici et là sur les murs d’Istanbul étaient présents dès le départ pour le confirmer. L’incident est très vite devenu politique, a été repris à travers toute la Turquie dans le cadre de manifestations pacifiques opposées brutalement par la police, mais elles n’étaient pas aussi anonymes que le suggèrent les images qui nous en sont parvenues.
Refusant la plupart du temps la violence, les manifestants majoritairement pacifiques couvraient d’un son de klaxon assourdissant les inévitables effusions de colère, s’insurgeant contre la destruction gratuite de l’espace public, nettoyant spontanément le parc de Gezi pour qu’il reste accueillant après des jours d’un sitting incessant où des millions de personnes foulaient ses pelouses menacées. On y dansait régulièrement des danses de la mer Noire, on y chantait l’hymne national ou des versions politiques de Rembetiko, on y voyait une voiture brûlée transformée en arbre à vœux, et des drapeaux étoilés portés comme des capes de héros. Chacun posait dans une attitude protestataire sur les barricades éphémères ou devant les grands feux à l’odeur âcre, comme s’ils se tenaient devant un fond de studio photo. Cela n’a pas empêché les effusions de gaz, que seule la fumée des koftes grillant sur la place Taksim pouvait masquer. Car quand la police attaquait, elle le faisait avec une puissance inébranlable, fonçant avec des tanks sur les manifestants, catapultant des grenades de gaz toutes les 10 secondes dans une pluie de métal qui blessait des centaines de manifestants à chaque charge, ne leur laissant aucun répit.
Refusant l’urgence journalistique, Emine Gozde Sevim, turque et new-yorkaise d’adoption, et Jake Price, en déplacement à Istanbul au moment des manifestations, ont compilé chacun de leur côté un témoignage essentiellement émotionnel de l’événement et des mois qui ont suivi, au cours desquels la répression, bien que moins visible, n’en a pas été moins écrsante. Leurs images permettent d’appréhender Gezi dans un sens plus déterminant : « Comme un symbole en lequel le peuple turc à chercher à protéger son existence dans la société turque contemporaine », ainsi qu’ils le formulent.
Photoville
Koprualti, de Emine Gozde Sevim et Jake Price
Jusqu’au 28 septembre 2014
Pier 5 – Brooklyn Bridge Park
New York