Lorsque David Bowie sort son album Scary Monsters (and Super Creeps), l’artiste, musicien, comédien et parolier légendaire cherche le meilleur des photographes, pour faire de la pochette une œuvre mémorable. À l’époque où Brian Duffy rencontre le chanteur, le photographe est au sommet de sa carrière. Les deux iconoclastes travaillent ensemble pendant huit ans sur trois albums différents, dont Aladdin Sane, le sixième album réalisé en studio (1973), et Lodger (1979). Les images que les deux hommes façonnent l’un et l’autre forment un ensemble d’une portée visionnaire. La plus emblématique d’entre elles est celle que Duffy réalise de Bowie en Arlequin pour la photo Scary Monsters and Super Colour Creeps.
Les débuts de Duffy n’ont rien de conventionnel. Après une enfance tumultueuse et rebelle, il est envoyé à Kentish Town, dans une école dont le crédo est de s’appuyer sur les arts pour canaliser les adolescents “perturbés”. Il s’initie à une multitude de disciplines et se familiarise à autant d’institutions culturelles, pour intégrer plus tard la Saint Martin’s School of Art de Londres. Successivement peintre, créateur de mode et photographe de mode, il travaille en freelance pour Harper’s Bazaar, puis à Vogue anglais, en 1957. Même à l’époque, Duffy se joue des règles protocolaires.
Bouclant la boucle, le portrait Scary Monsters and Super Colour Creeps s’est transformé, passant d’une photo en noir et blanc à un tirage pigmentaire réalisé grâce aux outils numériques contemporains. La composition a été retravaillée pour former une planche contact déclinée en différentes couleurs teintées, ombrées et crémées. Avec sa vision si caractéristique des années 1960 et 1970, Brian Duffy a changé notre façon de voir la photographie de mode et de portrait : le procédé de la métamorphose répond à l’âme même de cette image.
Faisant écho à l’héritage de Brian Duffy, son fils Chris réinterprète certaines des œuvres les plus emblématiques du photographe – il a d’ailleurs travaillé à ses côtés pour le shooting de Scary Monsters – et réalise depuis nombre d’images créatives de son propre cru. Brian Duffy a consigné pour la postérité 25 années de culture et de mode britanniques. On se souviendra toujours de lui comme l’un des plus grands photographes de mode européens, et ses portraits de David Bowie resteront parmi les plus identifiables de l’histoire de la photographie musicale. Tout comme la musique, la photographie déploie des champs qui nourrissent, transforment et communiquent les idées, et c’est pour cela que la collision entre ces deux supports s’avère aussi harmonieuse.
La carrière de Bowie ne s’appréhende pas uniquement au travers de sa musique mais également par les personnages visuels qu’il a inventés. Les clowns blancs sont généralement vus comme drôles ou effrayants. L’intention de Bowie était d’être « le plus beau, le plus merveilleux de tous les clowns », et c’est cette vision auréolée de magie que Duffy nous livre. Ensemble, ils ont ouvert les portes de l’étrange et nous ne les refermerons jamais.
Alex LoRe
Brian Duffy, Scary Monsters and Super Colour Creeps
Photographies des archives de la Holden Luntz Gallery
Holden Luntz Gallery
332 Worth Avenue
Palm Beach, FL 33480
États-Unis