Ancrés dans le documentaire, concernés par les questions sociales, les lascars de Cia de Foto ne signent jamais leurs images de façon individuelle. Les thématiques des projets, leurs enjeux esthétiques et les choix qui en découlent sont toujours discutés en groupe. Pour s’offrir le luxe de cette cohérence, ils travaillent beaucoup sur commande, essentiellement pour la communication et le corporate. Le collectif se consacre également à des sujets de fond : une salle de boxe en plein air (aujourd’hui disparue) sous l’échangeur de l’un des périphériques de São Paulo ; le quotidien, dans des tonalités sourdes et contrastées de la Paulista, la grande avenue du poumon économique et financier de l’Amérique latine, avec ses éclats de verre et de métal, et ses cols blancs en bras de chemise et avec attaché-case, seuls dans un univers glaçant.
À contre-pied des clichés, les Cia de Foto peuvent dresser un portrait de leur mégapole sous la pluie, façon également d’évoquer les inondations qui persistent des semaines durant dans des quartiers mal drainés. Les thématiques traitées par Cia de Foto ont toujours à voir avec la condition humaine, la fragilité, les enjeux de l’image et ses risques. Cette réflexion mise en pratique a abouti à une radicalité des sujets choisis et de la mise en forme. Ainsi de deux montages vidéo, exemplaires, qu’ils ont produits sur leur travail. L’un, consacré à la « favela verticale » d’un squat du centre historique de São Paulo, joue la lenteur, la subtilité, l’alternance de portraits beaux et dignes et de plans fixes qui s’animent doucement ; l’autre, leur « boîte à chaussures », rassemble, à un rythme effréné, joyeux et tendre, des centaines de photos de famille, avec une présence bouleversante de leurs jeunes enfants.
Dans la série présentée ici, le traitement du carnaval de Bahia – le plus noir, le plus photographié, le plus cliché aussi de tout le Brésil – dit tout de leur pratique. Ils ont simplement gardé cinq images de la foule, en extase, comme des peintures religieuses contemporaines à la lumière vibrante. On ne sait qui les a prises. Juste Cia de Foto.
Christian Caujolle, commissaire
Texte extrait du livre-catalogue « Photoquai » coédition Musée du Quai Branly- Actes-Sud