À Barcelone, la Fondation MAPFRE propose une superbe rétrospective consacrée au photographe franco-hongrois Brassaï. Conçue par Peter Galassi, l’exposition consacre le photographe du Paris nocturne tout en montrant plusieurs thématiques méconnues dans son œuvre.
Les scènes de Paris immortalisées par Brassaï sont bien connues. Elles montrent des rues de Paris, les ombres de ses monuments immortels dans le feu des lampes à gaz, les rues pavées de son Quartier latin, les silencieuses descentes des escaliers montmartrois, les recoins douteux et enfumés de la place d’Italie. Certaines scènes montrent un Paris qui, somme toute, a assez peu bougé (Façades rue de l’hôtel de ville, 1930-1932). Les jours passent, les immeubles et les atmosphères demeurent. Sous la Seine coule l’amour.
Cet héritage est puisé par Brassaï chez les écrivains, les peintres et intellectuels du XIXe et début XXe siècle. Son œuvre perpétue la fascination littéraire pour la mythologie française des bas-fonds. On trouve chez Brassaï une imagerie commune pour le Paris vivant, le Paris nocturne, les grands écarts entre bas-fonds et haute société) : Le Bal des Quatre-Saisons, rue de Lappe montre les élégantes et leurs séducteurs dans de savants jeux de miroir, dignes de ceux de Manet. Les gangs (Big Albert’s Gang, 1931) ou plus loin, les auxiliaires de police et leurs capes bouffantes rappellent les films de Carné. Les prostitués en rang d’oignon rappellent l’imagerie des bordels de Maupassant dans La Maison Tellier. Tout est là, les café-théâtres, les dance-halls, les mondains, les chiffonniers, les endormis d’un soir.
Jamais pourtant le regard de Brassaï n’est caricatural. La distance envers ses sujets le place dans une posture d’admirateur. Il semble à l’aise dans chacune des sphères sociales. À cette époque, Paris se remodèle. Brassaï voit la journée l’infatigable balai des ouvriers ; les nuits une faune bigarrée. Les cercles artistiques se déplacent de Montmartre à Montparnasse. Il fréquente Picasso, les surréalistes comme les prostitués d’un bouge commun (Chez Suzy, rue Grégoire de Tours, 1932). Il contribue à diverses revues comme Paris Intime, Minotaure ou Paris Magazine. Il est au contact d’un formidable matériau, par sa pensée et son expérience physique et concrète de la ville. Brassaï brasse, s’emplit de l’air de la ville et Paris peu à peu se fige dans son regard. Il est un acteur discret des battements de la ville.
Le parallèle avec Baudelaire semble presque évident. Tous deux font le grand écart. Haute et petite société, misère des ruelles et plaisirs des chairs. Bas-fonds et chiffons. L’œuvre de Brassaï est un véritable prolongement des recherches poétiques de Baudelaire. Ils partagent les mêmes topos, arpentent Paris dans ses boulevards et ses ruelles. À la différence d’Atget, Brassaï arpente autant qu’il entre. Il pénètre les intérieurs et se délecte des jeux et mises en scène des plaisirs parisiens.
Il faudrait une longue liste des figures artistiques de ce Paris crasseux, de ce Paris brillant, de cette ville brigand, de cette ville aux malheureux. De François Villon à Toulouse- Lautrec, en passant par Jean Genet à Jacques Prévert, la photographie de Brassaï réactive lectures, visions et imaginaires.
On a beau avoir vu certains de ses clichés des dizaines de fois, l’œuvre de Brassaï est fascinante. L’exposition à la fondation MAPFRE Barcelone dépasse la redécouverte – ce plaisir qu’on à revoir des œuvres oubliées. Elle propose une lecture d’un héritage artistique français, une perpétuation par la photographie d’un regard entier, d’une topographie en perpétuelle reconstruction sur le territoire parisien, ses figures, ses rues, sa poésie.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.
Brassaï
Du 20 février au 13 mai 2018
Fondation MAPFRE
Diputació, 250
08007 Barcelona
Spain
