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Bourse du talent 2017 – Héloïse Conesa : « On remarque une précarité qui indigne »

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L’Œil de la Photographie propose cette semaine un focus sur la Bourse du Talent et son exposition à la Bibliothèque Nationale de France, à Paris. Aujourd’hui, Héloïse Conesa, la commissaire, détaille ses intentions sur le thème et explique ses choix scénographiques.

« Fragilités », tel est le fil rouge choisi pour cette nouvelle édition de la Bourse du talent. Comment s’est imposée cette lecture de l’année autour des fragilités de l’être et du monde ?

Nous nous sommes réunis avec Didier de Faÿs, fondateur de Photographie.com, autour des images des lauréats et très vite cette idée des photographes pointant les désordres du monde et les failles de l’être humain tout en soulignant l’importance de la résilience face aux épreuves de l’existence s’est imposée. Qu’il s’agisse de la vulnérabilité des enfants dans les séries des photographes Youqine Lefevre ou Laurent Elie Badessi, ou encore du sort des réfugiés chez Jean-Michel André et Myriam Meloni, on remarque une précarité qui émeut autant qu’elle indigne. Telle est la force des photographes de la Bourse du Talent depuis de nombreuses années : nous émouvoir avec des histoires singulières qui touchent à l’universel et cherchent à réactiver la puissance de mobilisation d’un regard, à « réarmer les yeux du spectateur », selon l’expression de Georges Didi-Huberman.

Enfin, nous observons aussi cette année de façon encore plus nette que dans les éditions précédentes une mise en fragilité des codes conventionnels du médium photographique au profit de son hybridation avec d’autres expressions plastiques – le dessin chez Anita Pouchard-Serra, la peinture chez Chloé Jafé… En ce sens, cette instabilité peut aussi apparaître comme une force de renouveau.

La Bibliothèque Nationale de France accueille l’exposition de la Bourse du Talent depuis plusieurs années, complétée depuis l’année dernière d’un ouvrage chez Delpire. Quel bilan cela permet-il de tirer de l’état et de la vitalité de la photographie émergente ?

Cela fait en effet plus de dix ans que la BnF accueille cette manifestation devenue un rendez-vous incontournable pour prendre le pouls de la création photographique contemporaine. De grands mouvements se sont dessinés au fil des années : la fin d’une esthétique du reportage liée à l’instantanéité au profit d’un reportage au long cours qui atteste d’un engagement citoyen des photographes dans leurs sujets, une photographie de mode plus en phase avec les problématiques sociétales, une photographie où les genres conventionnels de l’histoire de l’art – portrait, paysage… – ne sont plus vraiment opérants et se mélangent participant également du métissage des techniques et des expressions artistiques. Le succès public croissant de ces éditions indique qu’aujourd’hui le regard des photographes est nécessaire pour témoigner, critiquer mais aussi réenchanter notre quotidien.

Nous sommes heureux du soutien que nous apportent depuis deux ans les éditions Delpire témoignant chez cette prestigieuse maison d’un engagement historique en faveur de la photographie émergente. Un livre de cette qualité est aussi un passeport pour d’autres aventures créatives dont les jeunes photographes peuvent se prévaloir.

Dans le cadre de l’exposition à la BnF que vous concevez chaque année en étroite collaboration avec Didier de Fays, les lauréats ont carte blanche pour présenter leurs séries sur d’importantes cimaises. Les tirages et les impressions réalisés par le laboratoire Picto montrent la diversité des approches techniques et esthétiques. Comment procédez-vous pour concevoir une telle exposition collective et lui donner dans la diversité une telle unité ?

L’investissement généreux de Picto est la clef de voûte de cette manifestation. Les photographes constatent le soin que les équipes du laboratoire apportent à leurs tirages qui constituent parfois de véritables défis techniques! Cette année, on peut remarquer par exemple la beauté des tirages de Charlotte Mano : le rendu quasi-pictural de son travail est sublimé par un papier mat et texturé. Cette exigence de qualité et ce travail effectué toujours avec un profond respect de l’intégrité du projet photographique participe de cette impression d’unité. De même, dans la scénographie, conçue avec Didier de Faÿs et en accord avec le service des expositions de la BnF, le choix d’un juste équilibre entre progression thématique et connivence formelle entre les images est essentiel pour amener de la cohérence.

Dans la catégorie « Mode », le jury a retenu la série Fashion Misfits de la photographe indienne Sanjyot Telang, réalisée avec de jeunes trisomiques. La photographie de mode pourrait-elle véhiculer d’autres valeurs que celles du luxe et des stéréotypes de beauté ?

Depuis quelques années, on observe que la photographie de mode est davantage le miroir des évolutions de la société qu’un domaine en vase clos. Les photographes sortent du studio, envisagent des poses plus naturelles, moins apprêtées, « castent » leurs modèles en choisissant de mettre en valeur une beauté loin des canons imposés par les défilés. Auparavant, cette volonté d’émancipation et d’innovation résidait davantage dans le vêtement mais aujourd’hui le modèle, son environnement, compte autant que ce qu’il porte. La section « mode » de la Bourse du Talent pourrait presque être rebaptisée « style de vie » tant on est sorti des conventions et des équations simplistes où élégance rimait toujours avec luxe et beauté avec perfection. Les photographes de mode distillent un discours engagé en faveur de la diversité et de la tolérance.

Les œuvres des photographes exposés intègrent les collections du département des Estampes et de la photographie de la BnF. Comment s’inscrit cette présence des œuvres de talents émergents dans la collection de l’Institution ?

A la BnF, nous sommes très attachés à la promotion de la création contemporaine. Assurer une veille sur la photographie actuelle, ses évolutions thématiques et esthétiques, est essentiel et nous accompagnons régulièrement les photographes dans leurs projets par des acquisitions et des expositions. La particularité de la collection de photographie de la BnF est de conserver et de valoriser le fait photographique dans son ensemble : photographie de mode, reportage, photographie « créative » pour reprendre la terminologie de Jean-Claude Lemagny…, il n’y a pas d’exclusive et c’est ce qui en fait sa force. En ce sens, la collaboration avec la Bourse du Talent ayant à cœur de montrer une photographie aux multiples facettes participe de ce décloisonnement. Grâce à la générosité des photographes et de Picto Foundation nous avons fait entrer des centaines de tirages de la Bourse du Talent, ce qui constitue un témoignage inestimable de la vivacité de la photographie durant cette dernière décennie. Nombreux sont les photographes « émergents » dont la qualité du travail a été d’emblée reconnue par la Bourse du Talent et qui aujourd’hui sont exposés sur les cimaises des plus grands musées internationaux. La BnF ne peut que s’enorgueillir de leur avoir donné une visibilité dès le début de leur carrière et de conserver leurs œuvres pour les générations à venir !

 

 

Bourse du talent 2017
15 décembre 2017 au 4 mars 2018
Bibliothèque François Mitterrand
Quai François Mauriac
75706 Paris
France

www.picto.fr

www.bnf.fr

L’exposition est accompagnée du livre Fragilités publié aux éditions Delpire.

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