Payram est l’un des tireurs star du laboratoire Picto. Il tire les œuvres des plus grands artistes et l’on vient de loin pour s’offrir son savoir-faire. Mais Payram, outre son expertise chez Picto, est aussi photographe. En 2001, il est invité à exposer son travail « fragile », une série effectuée entre 1988 et 2000 en Syrie, à Alep. Iranien exilé à Paris depuis 18 ans, (il a quitté l’Iran après des études de cinéma), il n’a depuis jamais remis les pieds dans un pays de cette région. Le choc à son arrivée est très fort, une expérience sensorielle très intime : visuel, sonore et olfactif. 15 ans plus tard et après plusieurs autres voyages dans cette Syrie aujourd’hui martyrisée, il propose dans le cadre du festival « itinéraires Voyageurs » de Bordeaux, une installation des 3 volumes de son ouvrage « Syrie 55 » parus aux éditions du gang en 2011. Chaque livret revient sur une sensation, sur une matière, comme un voyage intérieur, presque initiatique : Métal Savon Pierre.
Explication et interprétation avec ce poète des temps modernes qui évoque sans fausse pudeur des souvenirs de l’enfance qui font écho en chacun de nous. Un témoignage unique d’une histoire de la Syrie maintenant à jamais disparue .
L’Oeil de la Photographie : Comment est née l’idée de Syrie 55 :
Payram : Lors de cette invitation à exposer à Alep, j’ai vécu une expérience étrange et magnifique, j’ai replongé, par des odeurs, l’architecture ambiante, les sons, dans ma tendre enfance. Un sentiment de proximité très étrange. Mon père était chauffeur de taxi et j’allais souvent avec lui au bazar de Téhéran pour acheter des pièces détachées pour sa voiture. Quand j’ai visité le bazar de métal à Damas, j’ai été assaillli par les sons et je me suis revu enfant. L’odeur et le bruit du métal, des ouvriers qui le travaillent, j’étais dans un rêve éveillé. Puis à Alep, j’ai eu l’occasion de visiter une savonnerie et j’ai plongé dans l’univers féminin de ma mère. Elle était originaire d’une région proche de l’Azerbaïdjan et quand elle en revenait , elle ramenait des petits pains de savon fabriqués à base d’huile d’olive pour en faire cadeau aux membres de la famille. La puissance des ces odeurs à Alep m’a totalement submergé. J’ai eu un sentiment d’urgence comme si j’étais passé à côté de quelque chose en Iran, en ne l’enregistrant pas dans mon enfance. C’est de là qu’est né le projet. Au cours des autres voyages, j’ai travaillé avec des jeunes syriens d’un club photo avec le soutien du centre culturel français et de l’ambassade de France. C’était pour eux la première fois qu’ils travaillaient avec une chambre ou des films polaroid 55.
Le film polaroid 55 a ceci de particulier qu’il permet d’obtenir avoir un positif instantané 4×5 plus un négatif qu’il faut laver, fixer et conserver. J’ai choisi tout de suite de jouer la carte de la transparence avec les ouvriers du bazar. J’avais installé une table sur laquelle j’exposai les positifs aux yeux des passants et sous la table , il y avait un seau pour laver les négatifs, des pinces à linge. C’était un dispositif un peu lourd à gérer mais une expérience totalement inédite pour tous. Voir le résultat tout de suite était très réconfortant pour moi le photographe mais aussi pour les passants.
En 2002, je suis retourné à Alep, et là dans chaque ruelle, vous avez cette petite odeur insistante et entêtante de savon…me voici accompagnant ma mère au marché. A chaque fois, le projet est né de cette résilience. C’est en cela que c’est une œuvre très personnelle, parce qu’elle est étroitement liée à mon passé et à ce lien avec mon père et ma mère. Comme cette petite madeleine qui sommeille en nous et qui se réveille lorsqu’on s’y attend le moins.
Vraissemblablement, c’est cet éveil mémoriel qui est l’origine du projet. Ensuite bien sûr, j’ai construit une histoire. Le troisième volet de Syrie 55 est intitulé « pierre » car sur la route qui relie Alep à Damas, 400 kilomètres de routes à travers des montagnes, on y croise un flot incessant de vieilles Mercedes des années 50 remplies de lourdes pierres. J’ai eu envie d’aller voir les carrières et d’en extraire le rythme. Le point commun entre ces trois sujets est pour moi la transformation de la matière brute. Au bazar de Damas, le métal arrive brut mais les artisans vont le travailler et au sortir du bazar, vous avez des samovars, des plateaux, de la vaisselle. Pareil pour le savon, on part de l’huile d’olive et après tout un savoir-faire ancestral, on obtient ces petites savonnettes odorantes.
LODLP : Pourquoi le titre de Syrie 55, c’est à propos de ce fameux film polaroid ?
P : Oui tout à fait. On a produit dans le livre les polaroid originaux. Il faut comprendre aussi qu’en 2011 alors que nous sommes en train de préparer ce livre, Polaroid annonce qu’il arrête définitivement la production de tous ses films. Un véritable coup de tonnerre dans la galaxie photo mais pour mon éditeur et moi, c’était une épreuve de plus. La Syrie était en train de s’enfoncer dans la guerre civile, Polaroid arrêtait ses films. Je l’ai pris comme un signe du destin…Vous savez, la savonnerie que j’ai visité à Alep et qu’on voit dans le livre, était installé dans un caravansérail vieux de 600 ans, aujourd’hui irreversiblement détruit, disparu. Il fallait absolument produire ce livre avec des épreuves originales uniques pour témoigner de cela. Et puis, je suis un passionné de livres photo, je les collectionne. Je savais que j’avais touché à quelque chose d’essentiel dans mon travail photographique. Dès le début, j’ai pensé à un livre mais il fallait aussi trouver l’éditeur qui respecterait le projet et cela ne dépend pas que de moi.
Vouloir reproduire les polaroids originaux, c’est difficile car un tirage se réalise dans une chambre noire quand le polaroid lui capte la lumière du lieu où il est pris. Comment le rendre vivant dans un ouvrage? On a choisi un papier et un vernis sélectif afin de s’approcher au maximum du rendu du pola. Le résultat, c’est que je suis attaché à chaque image dans cet ouvrage, je pense qu’il fonctionne bien. Mais dans le troisième volet « Pierre », la première photographie est un portrait d’un homme, qui à force de casser des pierres semble lui-même en être devenu une. Je l’appelle l’homme-pierre. Et, il me touche particulièrement.
EXPOSITION
Dans le cadre du Festival itinéraires des photographes voyageurs
Du 1er au 30 avril 2015
Lieu : bibliothèque Mériadeck
85 Cours du Maréchal Juin
33300 Bordeaux
France
http://www.itiphoto.com
LIVRE
Syrie 55
Photographies : Payram
Textes : Nicolas Cartier
coffret de 3 livres format : 15x25cm
Aux Éditions GANG
http://www.editions-gang.com/
RADIO
Payram, photographe et tireur
Regardez voir par Brigitte Patient
France Inter
Le Jeudi 9 avril 2015 à 23h15
http://www.franceinter.fr/emission-regardez-voir-payram-photographe-et-tireur