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Bobbi Baker Burrows, mort d’une mythique éditrice photo

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Barbara Baker Burrows, ancienne directrice de la photographie chez LIFE magazine, s’est éteinte il y a quelques jours sur l’île de Martha’s Vineyard, aux Etats-Unis, après une longue maladie. Elle avait soixante-treize ans.

Surnommée Bobbi, elle était l’un des piliers de LIFE depuis les années 1960. Elle aura materné les plus grands photographes de LIFE (de ses numéros hebdomadaires à ses incarnations mensuelles) tout en jouant les rôles de conservatrice, éditrice et photo-historienne. Son beau-père était le légendaire reporter de guerre Larry Burrows, mort au Laos en 1971 alors qu’il couvrait pour LIFE le conflit en Asie du Sud-Est.

Elle devenait souvent très proche des photographes qu’elle soutenait et accompagnait, et nombre d’entre eux furent les chroniqueurs de l’histoire visuelle du xxe siècle. On compte parmi ses amis Douglas Duncan, qui atteindra cent-deux printemps ce mois-ci et lui téléphonait chaque semaine sans coup férir, ainsi que de nombreuses stars désormais disparues de LIFE, de Gordon Parks à Henri Cartier-Bresson, Martha Holmes, Mary Ellen Mark, Lennart Nilsson ou encore Bill Eppridge. C’est Barbara Baker Burrows qui, avec l’aide de Charles Whittingham, éditeur de LIFE, et Doris O’Neill, documentaliste et conservatrice, hissa Alfred Eisenstaedt au firmament, en s’appuyant sur le magazine, des expositions et des livres, afin de mettre en avant son travail incomparable et de le présenter à une nouvelle génération. Lors de la Seconde Guerre mondiale, Carl Mydans avait réalisé le fameux cliché du Général Douglas Mac Arthur marchant dans l’eau alors qu’il débarque à Luzon, aux Philippines. Barbara était à son chevet en 2004, lorsqu’il ferma les yeux à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.

Elle avait l’œil pour les nouveaux talents et lança la carrière de douzaines de jeunes journalistes entreprenants. Ils passaient chez LIFE à ses bureaux, un lieu toujours bourdonnant d’activité, et lui montraient leurs portfolios. Lorsqu’ils repartaient, ils avaient trouvé en elle un nouveau mentor. Toute la profession la reconnaît comme une personne droite et douée de compassion qui donnait sans compter, qu’il s’agisse de son temps, de son dynamisme ou de conseils. Malicieuse, elle avait un sens de l’humour indéniable – elle avait par exemple l’habitude, petit geste délicieusement macabre, lorsqu’elle appelait certains amis et tombait sur leurs assistants, de leur laisser non pas son nom, mais celui d’un photographe décédé. L’un de ses préférés : « dites-lui de rappeler Rudy Crane ».

« Ce qui va me manquer le plus, c’est son rire, ce rire merveilleux, confie son ami John Frook, un rédacteur en chef chez LIFE qui débuta avec elle dans les années 1960. Elle était toujours penchée sur sa loupe. Les images, c’était ce qu’elle aimait par-dessus tout. Elle adorait les photos. Et elle passait une bonne partie de son temps à mettre les photographes à l’honneur. » Son ancienne collègue Mary Steinbauer, rédactrice en chef adjointe chez LIFE, partage cette vision du personnage. « Quand elle voulait une photo, elle était d’une ténacité à toute épreuve. C’était comme une chasse au trésor pour elle. Dès qu’on apprenait que quelqu’un avait pris une bonne photo qui n’avait pas encore été publiée, et qu’on voulait la voir ou s’en servir, elle était sur le coup. » Elle ajoute qu’elle regrettera terriblement « son sens de l’humour, sa malice, ses taquineries… son attitude positive », mais également « sa loyauté » ainsi que « son sens aigu de la justice ».

Pour sa vieille amie la photographe Donna Ferrato, « nous nous souviendrons de Bobbi comme de l’ange gardien de tous les photographes qui ont travaillé avec elle – elle les protégeait, qu’il s’agisse de leur travail ou d’eux, personnellement, du jour où elle les rencontrait jusqu’à leur mort. Elle adorait les photographes et la photographie. Elle a rencontré [les plus grands] quand elle était toute jeune. De leur côté, ils ont grandi. Mais elle a gardé son âme de petite fille. Ils ont quitté l’immeuble, mais Bobbi est restée et s’est occupée de leur travail, de leur héritage, et même de leurs enfants. »

De plus, poursuit Donna Ferrato, elle était habitée « d’un certain raffinement aristocratique : membre de la famille d’un photographe de guerre mort dans l’exercice de ses fonctions, elle était baignée d’une aura presque royale. Elle avait du respect pour cet état et témoignait ce même respect à tous ceux avec qui elle travaillait. De nos jours, plus personne n’est comme ça. Pour couronner le tout, elle était un peu la Debbie Reynolds de la photographie – c’était une fille adorable. »

Barbara Burrows était une âme généreuse. Elle a validé les œuvres d’un nombre incalculable de photographes en plaidant leur cause et en soutenant leur travail ; prêté main forte à tous ses collègues du service photographie, éditeurs et iconographes ; conseillé les photographes en milieu de carrière sur leurs missions, leurs choix et leurs vies personnelles ; elle a rendu au domaine du journalisme tout ce qu’elle en a reçu ; et elle a donné des années de service et de sacrifice à Time Incoporated, la société qui l’employait. « Elle a donné tout ce qu’elle avait à Time Inc. », déclare John Frook.

D’après son ami et photographe Harry Benson, elle « avait une mémoire photographique légendaire, et une éthique professionnelle irréprochable ». Elle passait tellement de temps dans l’immeuble Time-Life Building, qu’elle était toujours en retard aux soirées et manifestations sociales et culturelles. « Encore une heure, pas plus », disait-elle, lorsqu’elle avait décidé de venir en aide à quelqu’un de l’immense famille élargie de LIFE (un ancien éditeur, ou le descendant d’un photographe décédé par exemple) qui venait de l’appeler pour poser une question sur une vieille photo ou un papier perdu. « On pouvait monter là-haut à onze heures du soir avec une pellicule, et elle était encore là », se souvient Harry Benson.

Elle était la confidente et l’éditrice de nombreux photographes légendaires qui travaillent encore aujourd’hui. Dans les contacts de son téléphone figuraient les numéros des photographes de la Maison Blanche et de la couronne britannique. Elle était l’ami intime de photojournalistes qui nous ont quittés – Slim Aarons, John Bryson, Eddie Adams, Theo Westenberger, Ken Regan, Henry Groskinsky, George Silk, Ralph Morse, Grey Villet, Brian Lanker, Enrico Ferorelli, Philip Jones Griffiths, Rene Burri et bien d’autres encore. Elle avait une capacité de travail prodigieuse, comme en témoignent les nombreux livres, « livrazines » et numéros hors-série qu’elle réalisa. Dans le courant des années 1980, elle créa avec un jeune écrivain du nom de Graydon Carter une nouvelle section pour LIFE, une page dévouée aux informations visuelles, sorte de magazine à l’intérieur du magazine. Elle s’intitulait Newsbeat. Avec une parution mensuelle, cette section allait devenir le modèle pour une publication innovante appelée Picture Week, l’enfant chéri de Barbara Burrows et de son ami et collègue Richard Stolley.

Les célébrités avec qui travaillait Barbara tombaient sous son charme, à l’instar de Warren Beatty ou de Dustin Hoffman. Dans l’île de Martha’s Vineyard, son cercle d’amis contenait des personnages connus tels que l’historien David McCullough, les rédacteurs en chef Eleanor et Ralph Graves, le journaliste David Halberstam, son Alfred Eisenstaedt bien-aimé et sa sœur Lulu, ainsi que sa meilleure amie Anne Morrell, autre pilier de LIFE, qui l’a précédée dans l’autre monde il y a peu.

Barbara Baker Burrows laisse derrière elle son époux Russel Burrows, sa fille Sarah, son fils James, sa belle-fille Emily et ses deux petits-enfants Knox et Haven. Grâce à Russel et la famille toute entière, les derniers mois si difficiles de Barbara ont été non seulement supportables mais emplis d’amour, de joie et de portée.

« Dans sa vie, il y avait trois amours, note Harry Benson. Tout d’abord, LIFE magazine. Ensuite, les photographes : elle s’est occupée d’Eisie [Alfred Eisenstaedt], en restant avec lui à l’hôpital pour le soigner, et elle craquait pour des photographes comme George Silk, Dmitri Kessel ou Gjon Mili. Et enfin, elle aimait [son mari] Russel. C’était elle qui donnait toute sa douceur à la vie de Russel. »

 

 

David Friend 

Ancien directeur de la photographie de LIFE magazine, David Friend est responsable du développement créatif de Vanity Fair. Il est également l’auteur de The Naughty Nineties: The Triumph of the American Libido (1990 années coquines, triomphe de la libido américaine).

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