Amen, Hedel
Poussez les portes noires, et c’est une expérience spirituelle et transcendante, qui vous attend au 18 rue du Bourg Tibourg, dans le Marais à Paris. Nous sommes chez Bigaignon, galerie dédiée à la photographie, et plus largement à l’art contemporain photosensible, qui présente du 25 janvier au 9 mars, les premières œuvres de Yannig Hedel, monstre sacré de la photographie argentique.
Cadres blancs sur murs blancs, une vingtaine de tirages d’époque ornent les murs immaculés de la galerie ; une sorte de nef ultra-contemporaine, surplombée d’une verrière qui diffuse une lumière douce sur cet ensemble graphique. Au fond de la salle principale, façon Tadao Ando, une composition de l’artiste de treize tirages forme une grande croix. Sur chacun d’entre eux, même cadrage, même mur, seule la progression de la lumière diffère et témoigne de l’avancée du jour. « De labor solis », du travail du soleil.
C’est cela dont il est question dans cette rétrospective, de la lumière, de l’Homme, du temps qui passe et qui file entre les doigts. « De Prime Abord », nom donné à cette exposition qui dévoile les prémisses du travail de l’artiste, de 1976 à 1986, ces premiers clichés, dix ans durant à la recherche de son style, qui progressivement s’affine et s’affirme. « De Prime Abord » aussi, peut-être, pour ceux qui, à première vue, ne perçoivent pas la beauté et la poésie que peuvent révéler ces objets triviaux ; ce pan de mur, ces fils électriques, ce morceau de grillage. Comme l’écrit Susan Sontag « l’acuité du photographe vise à trouver de la beauté là où les autres voient de la laideur, ou des choses sans intérêt, ni d’importance ». Ici c’est chose faite. On est porté et bouleversé par ce regard qui parvient à élever ces morceaux de monde, bruts et éphémères, au rang d’icônes.
Car à son œil affuté, vient s’ajouter une très grande maitrise du médium photographique et de la composition. Tout en subtilité, il joue des gris et des grains sur la matière et ce faisant, se joue de nous pour nous confondre entre les différents éléments ; est-ce un bâtiment, un ciel ? Si les contrastes sont ici très subtils, on parvient encore à distinguer entre eux les éléments, grâce à un liseré de lumière, une ombre projetée, la trace d’un nuage qui nous guide. Bientôt, le photographe ne sera plus aussi clément, et la frontière entre le réalisme et l’abstraction se fera plus tenue. Ses titres, qui valent qu’on s’y attarde, participent pleinement à ce jeu. Cinq trous sur une façade nue, deviennent « Grande Ourse ». Un nuage surplombant un mur en ruine, « Nez à nez ». Une simple façade nue, « mur rose ». Un rapport minimaliste aux choses, source d’inspiration intarissable qui lui permet de composer des ensembles déconcertants de puissance et de délicatesse. Son obsession, immuable, depuis 40 ans.
En faisant le choix de montrer la genèse de l’œuvre de Yannig Hedel, la galerie Thierry Bigaignon, nous invite à un voyage spirituel, un retour nécessaire à l’essence des choses, où l’on prend le temps de s’arrêter pour regarder en arrière, et interroger la façon dont nous, Hommes, observons et habitons le monde.
Marine Aubenas
Yannig Hedel : De Prime Abord
25 janvier – 9 mars 2024
Bigaignon
18 rue du Bourg-Tibourg
Paris 75004 · France
www.bigaignon.com