Le Beirut Art Center présente deux expositions mettant en perspective le documentaire dans le cadre de la relation complexe qu’entretiennent art et conflit. Chez Jananne Al-Ani comme chez Eric Baudelaire, le paysage y joue un rôle essentiel : l’artiste iraqienne développe notamment un travail vidéo inspiré de son expérience personnelle et de son Moyen-Orient natal, faisant du paysage l’outil d’une revendication identitaire, le moyen de briser les clichés occidentaux sur la région et de questionner la façon dont l’espace est intrinsèquement lié au conflit quant il est exploré, fouillé, capturé, et recensé. « Shadow Sites », qui est également présentée à Londres dans le cadre de l’exposition “Light from the Middle East”, est un montage de photographies aériennes évoquant celles des missions de reconnaissance militaire. Elles révèlent un désert qui rompt avec le fantasme épuisé de l’étendue vierge : il apparaît ici constellé de constructions de différentes époques que le constant changement d’échelle rend difficiles à identifier.
Le travail d’Eric Baudelaire est plus explicitement guidé par le paysage comme représentation politique. Il s’inspire dans la forme et le sujet du réalisateur japonais Masao Adachi, théoricien du Fukeiron. Son style consiste à déceler les structures du pouvoir dans le paysage quotidien. L’histoire se veut celle de May Shigenobu, née en 73 au Liban d’une mère Japonaise membre de l’Armée Rouge, expatriée en 71 pour soutenir le Front Populaire de Libération de la Palestine. D’expatriée volontaire, Fusako Shigenobu devient exilée, ennemie publique numéro un au Japon après sa revendication de l’attentat meurtrier de l’aéroport de Lod en 72, en Israel, le premier attentat suicide du conflit israelo-palestinient qui a lourdement marqué l’opinion. En 74, Masao Adachi, qui a déjà travaillé avec Shinegodu, se rend au Liban pour tourner un documentaire propagandiste sur l’organisation, “The Red Army / PFLP: Declaration of World War.” Les bandes qu’il tourne sont détruites dans des bombardements et c’est le début de 27 ans sans Japon et sans tournage, tout entier consacré au militantisme. Après 3 ans de prison au Liban, en 2000, il est rapatrié de force au Japon. A la fin de la même année, Fusako Shigenobu est arrêtée au Japon, ou elle était revenue sous un faux-nom après ce long exil. Quelques mois plus tard, sa fille, témoin invisible et impuissant de ces années de revendications acharnées, sort de l’anonymat. Le travail d’Eric Baudelaire se place dans cette position et revient sur ces vies croisées, partagées, sur ce retour au pays natal, errance morale, anabase. Il suit les étapes de cet état vague, de cette vaine conquête. L’histoire est la, mais elle n’est ni explicite ni expliquée, le film nous perd comme les protagonistes se sont perdus dans leur idéaux, comme les Grecs se sont perdus en rentrant de Perse dans ce long retour raconté d’un ton monotone par Xenophon, comme le monde se perd dans les conflits. Il reproduit esthétiquement cette expédition japonaise au Moyen-Orient dont les détails importent finalement peu. Ils portent la narration pour illustrer les nombreuses expéditions physiques et psychiques qui se terminent par un retour peu glorieux. C’est cette extrapolation possible qui interdit tout jugement partial et anticipé de cet épisode précis. Et surtout, comme Pierre Zaoui le formule a la fin du texte accompagnant le projet : ”Cela nous libère de toute nostalgie du passé comme de toute espérance en un avenir plus glorieux nous libère de toute nostalgie du passé comme de toute espérance en un avenir plus glorieux.”
Laurence Cornet
Eric Baudelaire – Now here else elsewhere
Jananne Al-Ani – Groundwork
Du 6 février au 6 avril 2013
Beirut Art Center
Jisr El Wati – Off Corniche an Nahr. Building 13, Street 97, Zone 66 Adlieh.
Beyrouth, Liban
+961 (0) 1 397 018
From Monday to Saturday 12:00pm – 8:00pm