Adolescent, Bernard Faucon voulait être peintre. Ou écrivain. Il est devenu un artiste singulier, comme ceux qu’il pouvait croiser chez Bahé, sa grand-mère paternelle, unique et poétique, qui vivait à Forcalquier. Sa vie se déroulait entre Apt, où il était lycéen, et la grande propriété de Saint Martian, un peu plus en altitude, plantée de cerisiers, piquetée de rangs de lavande, mystérieuse de rochers et de quelques ruines, abritant trois cabanons. Bernard avait le sien, tout comme ses frères, Jean et Pierre. Au cœur du Lubéron, ce paysage dans lequel les parents avaient inventé une merveilleuse maison pour enfants ouverte de la fin du printemps à l’automne était un monde en soi. Le paysage originel, dans lequel le jeune féru de philosophie — on croise dans le livre le penseur thomiste Jacques Maritain — prenait aussi des photographies.
« J’avais 15 ans, 16 ans, 17 ans, je prenais un plaisir fou à faire mes diapositives couleur 6 x 6, à voir bouger le monde à la surface du dépoli, à contempler ensuite mes petits carrés transparents, empreintes brûlantes de ce que j’étais, de ce que j’aimais. Lueurs du couchant à travers les arbres, visages de Pierre, le petit frère, de Michel et des ancêtres tutélaires, courbure de notre colline, profil de notre maison… Les mots suivaient avec la même maladresse, le même entêtement, ce qui importait c’était de témoigner, d’urgence, comme si le monde m’avait attendu ! (…)
Voici, surgies du fond des âges, dans leur lyrisme naïf et totalement vintage, ces illuminations d’un petit luberonien panthéiste, catholique, amoureux ! »
C’était il y a un demi-siècle. Dans ce « temps d’avant ». D’avant la photographie, en fait, puisque celui qui a arrêté les mises en scène qui l’ont installé, en précurseur, dans l’histoire de la photographie, ne considère pas comme un « travail photographique » ces carrés anciens, pas davantage que les vues réunies en 2005 sous le titre — référence au calendrier bouddhiste — Eté 2550 aux Editions Actes Sud, après qu’il ait mis un point final à sa pratique de « photographe ». Il s’agit, de fait, de la matrice d’un univers intime, mental, visionnaire en devenir. Un monde de rêves et de possibles capturé au Semflex avec ces diapositives carrées et ce film couleur auquel il restera toujours fidèle, dans une économie rare de moyens articulée avec une sensibilité évidente aux teintes.
« D’emblée, j’ai été ébloui par cette possibilité de capter le monde, même si je continuais à vouloir être peintre. J’ai photographié le ciel, les lueurs du couchant à travers les arbres, les visages des enfants, mon petit frère Pierre. Des visages et des lumières uniquement. »
Exposées aujourd’hui, dans ces tirages Fresson qui s’accordent toujours parfaitement à l’impressionnisme des atmosphères, ces images affirment simplement, sobrement, que tout est là dès le premier jour. La distance juste, l’absence d’effet, la lumière, la couleur, la précision innée d’un cadre sans fioritures. C’est par simple nécessité intérieure que l’univers environnant, la famille, le grand chêne devant la maison, les couchers de soleil extravagants sur le Lubéron — qui prend feu, parfois, pour un désastre perçu comme sublime —, les enfants de la colonie, Michel plus que les autres, Pierre, le petit frère adoré, Tatié, la grand-mère qui regarde ses petits-enfants avec une tendresse mêlée d’inquiétude et marche dans les herbes en portant le poids de l’âge avec une belle sérénité. Les paysages qui accueilleront plus tard les mannequins mis en scène pour Les grandes vacances ou l’installation des textes des Ecritures sont là, baignés de lumières, parfois « après l’orage ». Seule singularité que l’on ne puisse rattacher à ce qui viendra plus tard, des autoportraits, hésitant entre affirmation et crainte, flou et bonheur de se livrer dans la lumière. Il en est un où l’on ne voit pas le photographe : il s’agit d’une vue de la fenêtre de sa chambre, rideau flou, paysage estompé. Les fenêtres, déjà, que l’on retrouvera plus tard. L’ensemble est empreint d’une émotion sans gravité, qui mêle l’étrange relation que nous entretenons toujours aux images « d’avant », parce qu’elles nous renvoient à notre propre finitude, à notre inéluctable vieillissement, et la plénitude du sentiment de voir comment une œuvre majeure, dans sa totale authenticité, n’a jamais été que la déclinaison de plus en plus consciente, épurée, d’un univers existant dès les premières années. Un jour, l’outil s’est avéré avoir donné tout ce qu’il permettait dans la transcription de ce monde intérieur. Actuellement, Bernard Faucon monte patiemment le récit de sa vie, le dit sereinement, le déroule sur fond de routes parcourues de par le monde, filmées à partir d’une voiture, la caméra installée à la « place du mort ». L’ensemble, vraisemblablement, représentera quinze heures de film. Vingt minutes sont présentées dans l’exposition.
Roland Barthes, lorsqu’il avait reçu les premières photographies de mannequins jouant à ce qui n’a jamais été des « reconstitutions » de souvenirs d’enfance, avait répondu par une courte lettre : « Vos photos sont merveilleuses, pour moi, c’est ontologiquement (si vous permettez ce mot pédant) la photo même, dans la limite qui en dit l’être : la fascination. Merci. ». C’était en 1979. Qu’aurait-il dit de ce « temps d’avant » dans lequel on peut déceler l’ontologie du temps photographique ?
EXPOSITION
Jusqu’au 25 avril 2014
VU’ La Galerie
58 Rue Saint-Lazare
75009 Paris
France
Tel: 01 53 01 85 85
LIVRE
Le temps d’avant
Editions de l’Œil
Textes et photographies de Bernard Faucon
96 pages
format 20cm x 17 cm
1 500 ex.
Prix public : 25 euros
Edition spéciale, limitée à 50 exemplaires signés et numérotés accompagnés d’un tirage original de Bernard Faucon (tirage numérique sur papier) photographique à choisir parmi 5 photographies tirées à 10 exemplaires. Prix public : 250 euros
Impression sur soie de 12 photographies signées Bernard Faucon
Dimensions : 100 cm x 100 cm
Edition limité . 16 exemplaires
Prix public : 100 euros
En vente exclusive à la Galerie VU’ et sur le site : www.laboutiquevu.com