Résonances du grand Ouest
En Irlande, du moins autant que j’ai pu en voir en partant de Galway sur la côte Ouest, on n’accède pas à la mer facilement. Les sentiers littoraux sont quasi inexistants et le territoire partout quadrillé par des murets immémoriaux et des enceintes électrifiées ou stoppé par des falaises aux à-pics vertigineux ne facilitent pas les traversées sauvages. A défaut de marcher entre terre, ciel et mer, j’ai donc pris le car et le paysage a défilé sous mes yeux comme un film sur l’écran de ma fenêtre. Trop vite, bien sûr. J’ai shooté comme on lance des harpons avec l’espoir que le hasard ou les mystères de la photographie parviennent à fixer quelques-unes de mes visions.
Finalement, mes photos auraient pu être prises aussi bien en Ecosse qu’au Canada ou sur la côte ouest des Etats-Unis du côté de Vancouver voie même de la Patagonie, bref dans pas mal de coins du littoral atlantique ou pacifique que je ne connais pas mais où je rêve d’aller depuis si longtemps. Comme si j’avais été en quelque sorte le photographe de plateau d’un road movie imaginaire nourri depuis des années par des livres, des films et des photographies. Mon dépaysement aurait été moins suscité par mes rencontres avec des paysages inconnus que par cet effet jubilatoire de surprise et de reconnaissance mêlé. En ce sens mes photos convoquent moins l’inquiétante étrangeté chère à Freud que la familière étrangeté propre à certaines cartes postales. Écrivant sur le pays de Galles, et notamment sur Eugene Smith et Robert Franck qui l’ont photographié, l’écrivain Jean-Christophe Bailly le dit autrement et bien mieux que moi quand il définit l’expérience du voyage comme celle « par laquelle on laisse persister en soi la résonance de lieux qu’on n’avait encore jamais vus et qui répondent à l’imagination comme de stricts et pertinents échos » ( Saisir , Quatre aventures galloises).
Bernard Chevalier
