Fermeture définitive
Les petits commerces traditionnels, anciens cœurs battants de nos villes, se meurent lentement mais surement. Concurrencés depuis des décennies par les petites, moyennes ou grandes surfaces où l’on ne parle plus qu’à des robots, par les enseignes franchisées où se succèdent des gérants délocalisés, ou pire : par les plateformes en lignes qui livrent dans des points relais ou par leur service d’esclaves à vélo, la plupart n’ont pas résisté. Qui achète encore son pot de peinture ou ses clous chez le quincailler du quartier ? Ses rubans et boutons à la mercerie ? Qui fait réparer sa montre chez l’horloger ? Les boutiques de téléphonie, elles, fleurissent à chaque coin de rue. Dans les centres branchés des grandes villes où les réparateurs de vélo ont remplacé les garages, la gentrification fait apparaître de nouveaux petits commerces de proximité écologiques et très chers. Les épiciers d’antan ont été remplacés par les supérettes et les traiteurs hauts de gamme, les bistrots d’habitués se reconvertissent en work-friendly cafés avec wifi.
Tout ceci n’est guère nouveau : Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel !) écrivait déjà Baudelaire et l’histoire de la photographie est intimement liée aux mutations urbaines, de Marville à Brassaï en passant par Atget, le pionnier de la photographie de la rue parisienne. Quand je me promène à Paris, ses images m’accompagnent. Quelques anciens commerces résistent à leur disparition définitive comme de grands vieillards, presque des fantômes. Qu’elles soient taguées, à moitié démolies, à peine reconnaissables, leurs façades hantent la ligne des rues comme autant de rappels de ce qui fut longtemps des lieux d’échange et de rencontre. Toutes décaties qu’elles soient elles, ces façades aux enseignes effacées composent des grimoires chargés de mémoire, patinés par le temps : éminemment photogéniques.
Bernard Chevalier