Les mannequins, fétiches urbains
Fasciné par le pouvoir d’inquiétante étrangeté qu’exercent sur moi les mannequins qui me guettent en faction sur les trottoirs ou derrière les vitrines, j’aime les traquer dans les rues du sentier et du quartier Barbès autour du marché Saint-Pierre. Ils me regardent passer de leurs yeux fixes comme si je n’existais pas plus qu’eux. Certains de ces corps, le plus souvent dénudés, parfois sans tête ou ces têtes parfois sans corps, me lancent des signes que je cherche à capter par l’image. Ces signes troubles sont ceux du désir qui s’accroche à ces sourires muets, à ces yeux morts, à ces fragments de corps. Mon œil les ressent et les exprime mieux que je ne saurais par les mots. Il tire sa science de ma mémoire visuelle nourrie par les mannequins métaphysiques des tableaux de Chirico et par les œuvres des surréalistes qui ont fait du mannequin un objet-fétiche proche d’égaler la puissance magique de l’objet sauvage : « Un fétiche qui se doit, à la croisée du hasard objectif et du fétichisme sexuel, du désir amoureux et de la dérive urbaine, du fantasme et du fragment, de la matière et de la mémoire, de la durée et de l’éclair de la révélation, qui se doit donc de rivaliser avec l’aura, la fascination, l’envoûtement des objets sauvages. » (Georges Sebbag, Philosophie et surréalisme).