Photos domestiques
Dans chaque lieu de vie privé, aussi modeste soit-il, il est rare que l’image photographique n’occupe pas une place particulière. Encadrées ou non, au centre de scénographies étudiées qui font parfois penser à des sortes d’autels domestiques, ou simplement posées sur un rayonnage de bibliothèque, ou fixées par un magnet sur la porte du frigo , ces images ont été exfiltrées d’albums de famille, de collections inclassables de photos imprimées ou du flux continu des photos digitales qui encombrent nos mémoires : des images sauvées en quelque sorte, et consacrées comme autrefois dans les maisons romaines l’étaient les dieux lares protecteurs du foyer. En exposant ces photos d’aïeux inconnus, ces images de nos proches, ou ces clefs de notre musée imaginaire que figurent telle photo d’artiste ou telle ancienne carte postale, nous construisons et cultivons une image de nous-même issue de notre mémoire selon un geste bien antérieure à la photographie elle-même. Avec la photographie, cependant, la représentation du monde s’est démocratisée, le selfie s’est universalisé, et désormais nous pouvons vivre entourés d’images, ô combien choisies, transformant par-là nos vies chaotiques et contingentes en destin.
Bernard Chevalier
