Vanités marines
De Pont-Aven à Lorient, j’ai marché des jours le long du sentier du littoral avec la mer et l’horizon à droite, la terre à gauche et, au-dessus de moi, le ciel merveilleusement changeant. Pourtant, c’est en marchant à couvert le long des rias que j’ai trouvé ce que je cherchais sans le savoir : des épaves pourrissant dans la vase laissée par les marées et dévorées par les plantes marines. Certaines, aux étraves encore debout, pourraient être réparées et reprendre la mer mais leur état d’abandon les condamne à une mort lente dans ces cloaques humides de bout du monde. La plupart ne sont d’ailleurs plus que des ruines à peine identifiables : seul le squelette de la coque subsiste comme un thorax décharné ouvert en deux et aplati ; ou bien il ne reste plus que des éléments épars de la structure qui émergent de la bourbe comme des ossements noircis dans un charnier. Au rythme des marées et des courants, des pluies et du vent, la terre finira par recouvrir ces dépouilles qui longtemps ont parcouru la mer et bravé les vagues. Sic transit gloria mundi. Je photographie ces vanités comme on photographie des portraits funéraires sur les tombes avant qu’ils ne deviennent méconnaissables sous la porcelaine décomposée. Chaque épave découverte au travers des arbres en me penchant au bord du sentier m’apparaît comme un memento mori : toute vie n‘est-elle pas un lent naufrage qui s’achève tôt ou tard au fond au fond d‘une ria obscure et silencieuse d’où l’on ne voit plus la mer ?
Bernard Chevalier