Donner une forme, rendre palpable un projet photographique : le travail de conception d’une exposition personnelle nécessite un temps de réflexion et de confection à la fois nécessaire et engageant. Du choix des images à leur impression, en passant par leur organisation et l’encadrement, le photographe Benjamin Rullier nous raconte le processus de mise en forme de sa série Scabieuses.
La Scabieuse est une fleur qui est également appelée « fleur des veuves » et qui est devenue le titre d’une série que je mène depuis quelques temps. Elle met au centre des dames habitant dans des communes rurales et qui vivent seules depuis le décès de leur mari. Cette série montre leurs visages, leurs corps dans leur environnement quotidien et donne également à lire de courtes citations issues de nos rencontres. Comme pour chacun de mes projets, je souhaite ainsi faire résonner images et textes.
Pour donner une forme exposée à cette série, j’ai d’abord pensé à sa diffusion. L’idée est d’en faire une exposition qui puisse être présentée dans des espaces restreints : petites galeries, librairies, etc. et qui se regarde comme on pourrait regarder un pan de mur sur lequel sont rassemblés quelques portraits de famille. Ces objectifs ont conditionné le nombre d’images et de textes à imprimer, ainsi que leur dimension.
Esquisser une forme
J’aime les petits formats, ces œuvres qu’on doit approcher pour voir, comprendre, et j’ai donc choisi deux dimensions modestes pour les images : 13x18cm et 18x24cm, et un format carré pour les textes : 15x15cm. En élaborant une esquisse de mise en forme de l’exposition, j’ai conclu que sept à huit photos et autant de textes pourraient composer une série à la fois représentative et d’un format qui me convienne. Le choix des photos et des images a été dicté par ces contraintes et par la volonté de raconter une histoire, de faire entrer dans une thématique, dans une vision du sujet. J’ai ainsi choisi de rassembler ces impressions de manière assez resserrées, à différentes hauteurs.
Ce que je souhaite montrer n’est pas une histoire qui progresse : c’est un ensemble de témoignages et de visages autour d’une thématique centrale, celle de la disparation. J’ai ainsi fait le choix que tous les visages des veuves composent le contour de l’exposition et qu’au centre, une image représentant un fauteuil vide illustre le point de départ de ce projet. C’est ainsi que j’ai aussi choisi les textes, tirés d’un nombre de citations assez importants, en sélectionnant des évocations de la vie de ces femmes depuis la disparition de leur conjoint. Ils évoquent ainsi l’absence, le deuil, la reconstruction. Ils gravitent, de manière légère, autour de ces photos.
Expérimenter le dispositif
Je souhaitais encadrer ces images dans écrins qui peuvent rappeler ceux que j’ai pu voir chez ces dames : des cadres anciens, parfois colorés, bariolés. Avec cette volonté, j’ai choisi d’opter pour une impression des images sur du Hahnemühle Photo Rag, un papier de 300g très mat qui sera légèrement relevé par la mise sous verre. Un papier qui peut avoir un aspect presque rugueux mais dont j’ai aimé la précision et la profondeur. Les textes, que je souhaitais exposés de manière simple et non encadrées, ont été imprimés sur un papier softouch mat avec un aspect très doux. Toutes ces impressions ont été réalisée par l’imprimeur en ligne Saal qui propose notamment des impressions « fine art » de haute qualité et dans une gamme de format très intéressante.
À la réception des images, j’ai pu éprouver mon dispositif, tester les encadrements et la mise en forme de l’exposition qui n’a finalement pas beaucoup évolué par rapport aux esquisses prévues. Les deux formats, quasiment homothétiques s’accordent facilement et selon moi la multiplication de cadres différents n’incommode pas la lecture, ce que je pouvais craindre au départ.
Bien sûr, cette disposition sera mise à l’épreuve des potentiels lieux qui accepteront de diffuser cette exposition, mais elle permet de se projeter plus concrètement dans cette série et de lui donner une forme réelle, agencée, réfléchie, qui offre une lecture personnelle, différente de celle qui peut exister sur Internet ou dans un livre.
Une série photographique publiée dans le cadre d’un partenariat avec Saal.