Pour notre correspondante à Pékin, Li Hu est une véritable révélation photographique, elle nous présente ici deux parties majeures de son œuvre, les deux autres vous seront montrées la semaine prochaine. Li Hu a survécu à la guerre avec le Cambodge dans les années 70, et à la Révolution Culturelle. Il s’est retiré à l’aube de l’année 2000 pour devenir photographe. Voici son entretien avec Cyjo.
L’entrée de Li Hu dans le monde de la photographie professionnelle est assez remarquable. Alors que des photographes travaillent activement pour faire de bons reportages, Li Hu aime prendre le temps de s’attarder sur son propre passé. Les notions de lutte, de travail acharné, de respect pour son prochain et de fierté sont quelques unes des caractéristiques enracinées dans son œuvre.
Né en 1955 à Zhen Zhou, dans la province du Henan, il a survécu à la famine dans les années 60, à la guerre du Vietnam avec le Cambodge dans les années 70, il a connu la Révolution Culturelle et a servi dignement comme membre du Parti Communiste en travaillant au département des impôts, s’élevant ainsi au statut d’officiel de haut rang.
Ayant eu l’opportunité de prendre une retraite anticipée en raison de suppressions de postes en 2000, Li Hu s’est consacré à réaliser son rêve d’enfant en devenant photographe professionnel. Il a étudié tout ce qui touche à la photo, la technique et les travaux des artistes majeurs, dans toutes les publications internationales sur lesquelles il a pu mettre la main. Et il s’est rapidement découvert un goût pour les œuvres de Richard Avedon, Arnold Newman et Eugene Atget, parmi bien d’autres.
Parce qu’une bonne formation n’est pas facile à trouver à ce moment-là, il devient son propre professeur et s’assigne des devoirs, pour lesquels il expérimente différents styles dans le but de façonner le sien. Il y a un proverbe chinois qui dit : « C’est toujours le clou le plus long qu’on enfonce en premier. » Alors que beaucoup se battent pour faire partie d’un groupe, Li a trouvé tout seul en photographie la voie qui l’a distingué des autres.
Cette voie s’est affirmée dans ses travaux suivants. En raison de la nature étendue de l’expérience de Li Hu et de son œuvre, cet entretien sera divisé en quatre parties, l’histoire de Li Hu, Coal Miner & Happiness, Backwards –Backwards et End Bound Feet.
Dans quelles circonstances avez-vous grandi ?
Ma génération a connu toutes les étapes douloureuses du développement de la Chine, les Trois Années de Désastre, la Révolution Culturelle, et la Politique de la Porte Ouverte de 1979. Cette politique était la première en son genre, et Deng Xiaoping disait que nous devions nous concentrer sur l’économie, pas seulement sur les aspects politiques, pour nous développer comme un tout.
Avant 1973, ce n’était pas facile en raison de la disette. Les Trois Années de Désastre Naturel, de 1960 à 1963, ont été l’un des moments les plus difficiles de mon enfance parce que la nourriture était vraiment très rare. La Chine avait aussi des problèmes avec la Russie.
J’avais très faim quand j’étais petit et je devais partager le peu de nourriture qu’il y avait avec une famille nombreuse. Nous prenions une petite casserole, faisions bouillir de l’eau, et mettions du sel et du vinaigre dedans. Et nous buvions ce mélange en essayant de nous convaincre que c’était de la soupe. Je me rappelle avoir manger des pommes de terre sous toutes les formes. Les feuilles d’arbre n’avaient pas bon goût mais nous les mangions quand même. Et l’herbe aussi, ça faisait comme de la salade.
Ce fût encore plus dur pour mon plus jeune frère parce que ma mère était trop mal nourrie pour produire du lait. Cela voulait dire que la brebis de ma tante devait être alimentée pour allaiter. C’est le lait de brebis qui a aidé mon frère à survivre. Nous ressemblions à ces enfants africains victimes de la malnutrition, avec le ventre gonflé, que l’on voyait dans les magazines il y a quelques années.
Ma deuxième expérience majeure a été la Révolution Culturelle, qui a commencé quand j’avais dix ans. J’ai été envoyé dans une petite province, Huai Bin, pour travailler à la campagne pendant six mois. Mes parents ne sont pas venus. Les voyages étaient organisés par le gouvernement et ils concernaient seulement les enfants.
Beaucoup de gens se concentraient sur l’art de vivre des fermiers plus que sur leurs propres études. Nous avons appris des soldats, des paysans et des travailleurs, trois classes sociales importantes de cette époque. Même si vous n’étiez pas le meilleur élève, vous pouviez obtenir une position hiérarchique élevée avant d’avoir fini le lycée.
Les bacheliers étaient eux aussi expédiés à la campagne pendant quatre ans. À l’âge de 18 ans, j’ai donc été envoyé vers le sud à Xinian, dans la province du Henan. Nous faisions le même travail que les fermiers, on plantait des cacahuètes et des haricots et on se consacrait aux corvées quotidiennes.
Après mon engagement de quatre ans, je devins un soldat et servis dans l’Armée pendant les dix années suivantes. J’ai fait la guerre du Vietnam en 1979. À ce moment-là, le Vietnam voulait annexer le Cambodge alors le pays a entamé une guerre. Mais la Chine était l’alliée des deux pays et a aidé le Cambodge à conserver son indépendance. J’étais sur place pendant tout juste un mois, mais pendant cette courte période, j’ai pu assister à la réalité destructrice de ce qu’est la guerre. La valeur de la vie et la nécessité d’en profiter me sont apparues claires comme du cristal à cette occasion.
À la fin de 1986, l’Armée a réduit ses effectifs d’un million de soldats. J’ai alors été transféré au département des impôts le 2 janvier 1987. Pendant les 14 années suivantes, je suis passé du statut de simple secrétaire à celui d’officiel de haut rang.
En 2000, la structure du gouvernement a changé. Il y avait trop de cadres, et il a été demandé à ceux qui occupaient des postes élevés de prendre une retraite anticipée pour laisser la place aux jeunes. Comme je voulais explorer d’autres domaines d’intérêt, spécialement la photographie, j’ai saisi cette offre. Mon salaire a été maintenu, mais le travail a été donné à la nouvelle garde.
Quand vous êtes-vous intéressé à la photographie ?
Depuis mon passage au collège, je me passionne pour la photographie. J’aimais peindre et prendre des photos quand j’étais adolescent. Je n’avais pas l’argent pour acheter un appareil, mais les parents d’un de mes camarades en avaient un. Et je lui demandais tout le temps de l’emprunter pour faire des images.
Après la guerre, tous les survivants de l’Armée ont reçu une prime de 110 yuan (11,7 euros), que j’ai utilisée pour acheter mon premier appareil, un Haiou (Oiseau survolant la mer) de 80 yuan (8,5 euros).
Cette interview a été conduite et réalisée par CYJO