Chaque mois, L’Œil de la Photographie s’intéresse au collectif photographique avec les mots de Benjamin Rullier. Loin de la figure de l’artiste solitaire, des photographes choisissent de se regrouper. Projets à plusieurs, passerelles entre les pratiques, réalités économiques : un membre fondateur ou actif vous présente son collectif, ses spécificités et ses enjeux. Entrez dans le groupe !
En juin, Quentin Bassetti nous ouvre les portes du Collectif Nouveau Document fondé en 2019. Entre Paris, la Bretagne ou la Creuse, les huit photographes qui le composent défendent une vision moderne et ouverte de la photographie documentaire qui s’appuie sur une pluralité de regards.
Comment est né le Collectif Nouveau document ?
Avec Jérémy Fruchaud, le deuxième cofondateur, on était dans la même école à Rennes. On s’est vraiment retrouvé autour d’une vision documentaire de la photographie. Nos principales sources d’inspirations étaient les grandes missions : La mission héliographique, La FSA, La DATAR, New topographics. Au départ, on voulait fédérer des photographes de la région, à notre échelle. On voulait mettre en place des projets communs, les produire. Finalement, on a commencé à rencontrer des gens d’autres horizons, partout en France et le collectif s’est rapidement ouvert à d’autres territoires.
Le collectif est aujourd’hui composé de photographes de Paris, de Bretagne, de la Creuse, etc. Qu’est-ce qui vous rassemble ?
On défend une démarche d’auteur, même si certains s’en éloignent un peu et sont dans des démarches pluridisciplinaires. On n’a pas tous exactement les mêmes domaines d’activités, certains sont dans des circuits très artistiques, de résidences, d’autres réalisent des commandes pour la presse mais on se retrouve dans un regard et une vision de la photo. La photographie contemporaine ne peut pas se contenter du documentaire et doit s’ouvrir vers d’autres choses. Nouveau document c’est cette idée là : rester dans le documentaire mais proposer quelque chose de nouveau.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
On est un peu un collectif 2.0. On s’est notamment connectés sur les réseaux à l’heure où Instagram est devenu très intéressant pour les photographes. Le collectif c’était l’argument pour dire : j’aime bien ton travail, j’aimerais qu’on se rencontre. Tout l’enjeu ensuite a été de construire une vraie relation, une vraie vision commune et de commencer à travailler.
Quelle a été votre première production ?
On était assez rapidement une dizaine de photographes et on s’est dit qu’on allait proposer un premier sujet et faire un travail commun. On a proposé le thème Un futur possible à tous les photographes du collectif et on a fait un appel à projet pour proposer à d’autres photographes de faire une série. Certains projets qu’on a adoré on été retenus. Ça nous a permis de les faire découvrir et aussi d’intégrer de nouveaux photographes au sein du collectif. Un futur possible a été mené en 2019 et a pris la forme d’une grande exposition collective en 2020 au Carré d’art à Chartres-de-Bretagne. On était super content de ça. Ca rassemblait plusieurs projets individuels, très différents, qui se reliaient pour composer une exposition commune.
C’est une envie d’aller plus loin dans le collectif qui vous a mené à votre nouveau projet : Habiter ?
Pour notre deuxième projet, c’était notre but : faire un travail commun, plus collectif. On a cherché un deuxième sujet et on a très vite accroché à la question d’habiter un lieu. Ça a commencé par un cadavre exquis d’images de photographes du collectif autour de chez eux puis on a souhaité faire une résidence collective dans un lieu précis. Une membre du collectif, Anaïs Marion, qui a une maison dans la Creuse et qui porte déjà dans son village le projet de l’Agence narrative dans le but de fédérer des projets, nous a proposé de faire la résidence chez elle. On s’est relayés par groupe de 2 à 4 photographes pendant trois mois et aujourd’hui, avec notre corpus d’images on travaille à la restitution de ce projet.
C’était aussi une expérience pour tester les forces et les faiblesses du collectif ?
C’est une question intéressante quand on parle de collectif : est-ce qu’on travaille vraiment ensemble ? L’idée avec Habiter, c’était d’être vraiment des acteurs de ce sujet en vivant ensemble pendant un temps, en travaillant en collectif, en partageant, en sortant faire des photos à plusieurs. Ça a été une expérience sur nous-mêmes et ce qu’est un collectif.
Ça vous conforte dans votre envie de continuer ensemble ?
C’est vraiment ce qu’on veut développer aujourd’hui : parler de collectif au sens propre. Habiter, on veut aussi que ça puisse être une vitrine de ce qu’on peut faire et qu’on puisse continuer dans cette direction en faisant de nouvelles résidences pour parler de cette notion d’habiter dans différents territoires.
Est-ce que ces envies se heurtent à des freins ?
Chacun a son travail de son côté, ses contraintes, son envie d’avancer dans sa propre carrière et c’est dur de trouver du temps à consacrer au collectif. On adorerait faire des ateliers de médiation ou du mentorat par exemple, mais on n’a pas assez de temps pour développer tout ça. C’est pour ça qu’il y a un tas de collectifs qui se cassent la gueule au bout d’un moment. C’est là où il faut être intelligent et se souder entre nous. Regarder des collectifs comme Tendance floue qui ont des années d’existence et se dire que ce serait peut-être pas si mal qu’on continue d’exister. Mais si tu n’as pas l’amitié qui se crée, que tu peux vraiment te dire les choses, réussir à te remotiver, ça disparaît. À plusieurs moments, il y a eu des baisses d’activités et on a cru que le collectif allait s’arrêter mais il y a toujours un des membres qui relance la machine.
Qu’est-ce que vous mettez en place pour garder le collectif actif ?
Il y a les projets et on est aussi en train de restructurer l’association, de questionner les statuts pour remettre tout ça à jour en fonction de nos enjeux. Depuis peu on essaie de faire des groupes de travail : un groupe va travailler sur la mise en forme d’Habiter, d’autres sur la préparation de l’assemblée générale, d’autres encore s’occupent des réseaux sociaux. On essaie de se donner des tâches pour avancer. Actuellement, on est huit. On aimerait concrétiser les projets en cours et se poser la question ensuite de s’ouvrir à de nouveaux photographes, mais tout en restant à taille humaine.
Plus d’informations :