Implanté en Auvergne-Rhône-Alpes, fondé il y a plus de 10 ans par un groupe de photographes en reconversion professionnelle, créateur d’une salle d’exposition dans une commune de 300 habitants, Blick Photographie défend l’envie de créer ensemble sur un territoire. Rencontre avec Chloé Colin, cofondatrice du collectif.
Comment êtes-vous entrée dans la photographie ?
J’ai toujours eu des appétences pour l’art et la culture. Après mes études, j’ai travaillé à l’institut des Beaux arts de Mexico et c’est là que je me suis autorisée à photographier. C’était un outil assez simple d’utilisation mais qui finalement est très exigeant : comprendre l’image, le langage photographique, l’utiliser comme médium. Et puis mon père faisait de la photo et il m’a transmis ça avant de mourir. Comme la photo est intimement liée à la mort, au deuil, ça avait d’autant plus de sens.
Qu’est-ce qui a lancé votre mouvement vers le collectif ?
En 2012, j’ai cherché une formation pour me reconvertir en photographie et je suis entré à l’école Bloo de Lyon qui était en cours de création. Sur une formation d’un an, on a eu la chance de faire des workshops avec des stars aux regards très différents : Michael Ackerman, Anders Petersen, Jeffrey Wolin, Delphine Balley, Elina Brotherus, Olivier Culmann, Richard Dumas, Stéphane Charpentier. Et c’est vraiment le workshop avec Bertrand Meunier de Tendance floue qui nous a beaucoup plu. Il nous a notamment raconté l’histoire du collectif. J’ai bien aimé cette histoire de travailler ensemble : s’enrichir avec des regards croisés, stimuler la créativité de chacun, se pousser vers l’exigence, éviter la complaisance, aller vers le meilleur.
C’est là que Blick est né ?
Avec Amandine Bailly, on a lancé l’aventure. Et puis il y a eu Loïc Xavier qui est toujours avec moi à la co-direction, Malika Mihoubi et Damien Brailly : on était tous en reconversion professionnelle. À la manière de Tendance Floue, on avait envie de passer du temps dans des zones photographiques et de travailler ensemble.
Pour vous, le travail de photographe a donc immédiatement été collectif ?
Le photographe c’est un travail d’auteur et comme celui d’écrivain il est assez solitaire et moi ce n’est pas ce que je recherche. J’aime être stimulée par l’échange.
Quels ont été vos premiers travaux ?
Dès la sortie de l’école, j’ai entamé un projet qui s’appelait Espèces d’Espaces pour questionner l’interaction entre l’espace et l’individu. J’ai lancé un travail dans la commune de Saint-Fons et on y a travaillé à trois. J’ai aussi commencé à parler de Blick, de toutes mes idées et nous sommes devenus rapidement un partenaire photographique de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour animer des ateliers de pratique artistique. On a travaillé avec la MJC de Villeurbanne qu’on a pu animer pendant toute une année. Et puis la Drac (Directions régionales des affaires culturelles) a changé sa politique et a décidé d’attribuer plus de moyens dans les campagnes qui étaient considérées comme sinistrées culturellement. Là, par exemple, on a été propulsé dans la commune de Tarare, entre Lyon et Roanne.
Comment avez-vous vécu ce basculement ?
Certains pouvaient être gênés d’arriver dans un territoire spécifique. On s’est rendu compte aussi que ce n’était pas si facile de travailler en collectif, parce qu’on avait des caractères différents, des écritures très différentes. En fait, la Drac et la région Auvergne-Rhône-Alpes nous ont donné une direction qu’on n’avait presque pas choisi au départ, mais tout en nous accompagnant à la fois financièrement et moralement. Ça a été précieux.
Quel est devenu la caractéristique, la direction, l’ADN de Blick ?
Le point de départ est le territoire : s’imprégner de l’espace pour travailler chacun avec notre écriture, avec notre regard.
La transmission, la médiation prend également une place importante.
On a un discours qu’on a toujours mis en avant : “si vous ne nous laissez pas créer, la médiation ne sera pas intéressante.” On ne crée pas des ateliers pour la médiation, on développe chacun nos créations et on partage à partir du moment où on crée. On a trouvé la solution pour gagner notre vie tout en développant notre travail et en le défendant.
C’est cette envie de défendre le travail de photographe qui vous a amené à créer l’espace photographique du Grand Colombier ?
On voulait mettre en avant l’artistique, accueillir des photographes de qualité (Stéphane Charpentier, Sarah Ritter, etc.) dans de bonnes conditions. Déjà qu’au sein de l’association on travaille bénévolement et ça peut être usant, au moins on veut pouvoir payer les artistes ! Et ça avait aussi du sens de proposer ces expositions en pleine campagne. Il n’y a rien sinon entre Lyon et Genève, nous on est au milieu. Malheureusement le lieu est en pause à cause de pertes de soutien et on ne souhaite pas faire d’exposition sans payer les photographes.
C’est une course continue aux financements ?
Ça fait plus de dix ans qu’on existe et c’est toujours un rythme effréné parce qu’on a toujours beaucoup de travail. On arrive à un point où on devrait embaucher quelqu’un pour gérer l’association. C’est une question d’argent et de temps, de refaire des dossiers de financement en continu.
C’est une des limites de ce modèle ?
Le modèle est bon, mais ce qui est difficile c’est de gérer ce collectif. Tout le monde trouve ça bien, mais sur le concret de l’administration, de la coordination, il y a moins de monde pour aider. Tous les artistes essaient de trouver leur économie : c’est toujours des compromis entre des temps de création et gagner sa vie. Il y a très peu de gens qui ont le temps pour gérer une association en parallèle.
Qui sont les personnes qui composent Blick Photographie ?
Au début, on a intégré des photographes via le bouche à oreille, puis on a fait des appels à candidature. On s’est ouvert progressivement à d’autres médiums, mais on a toujours envie que l’image soit au centre. On s’est tous un peu formé au son et à la vidéo, certains comme moi s’approchent aujourd’hui plus d’un travail de plasticien, en mélant différents supports artistiques.
Qu’est-ce que peut apporter le collectif aux photographes ?
Outre le fait de travailler ensemble, de mélanger les regards, quand des nouveaux artistes portent des projets via le collectif, il y a tout ce passif qui les accompagne. Ça facilite la validation de projets, de financements, ça démultiplie les réseaux dans ce petit monde de la photo.
Pouvez-vous nous parler d’un projet en cours ?
Notre nouveau gros projet s’appelle DÉ/S/RIVES et s’intéresse au Rhône et à l’eau. C’est un projet qui mélange photographie, son, vidéo et écriture porté Ahmed Boubakeur, Loïc Xavier, Marine Lanier, et moi-même. L’idée étant de relier discours scientifique et artistique autour de l’eau. On a été invité à faire une résidence dans une école à Villeurbanne. Sur la partie atelier on leur a proposé de travailler “Des rives et des rêves”, ce qui avait du sens dans cet établissement séparé du Rhône par l’autoroute. C’est un projet fait de plusieurs fragments qui va être mené jusqu’en 2026.
Plus d’informations :
Photographe, auteur et journaliste, Benjamin Rullier explore l’image, le texte et leur manière de se répondre. Dans ses projets personnels, il mène des travaux au long cours autour de thématiques humaines tels que le deuil, le temps libre, le rapport au corps. En collaborant avec des médias culturels (L’Oeil de la photographie, Kostar, Wik) et sociaux (La Topette, Bobine Magazine) il aime faire des passerelles entre culture et société, notamment autour de portraits photos et textes.