Avant de tourner la page en 2018, des photographes nantais rassemblés sous le nom de Bellavieza ont expérimenté pendant 10 ans le travail, la création, le quotidien en collectif. Entre énergie et essoufflement, Jérôme Blin et Gaëtan Chevrier se replongent dans une aventure chaotique, mais qui a renforcé leur envie de défendre une vision partageuse de la photo.
Comment est né le collectif en 2008 ?
Jérôme Blin : Avec Benoit Arridiaux (troisième photographe à l’origine de Bellavieza, NDLR), on faisait partie d’un premier collectif : Icono verde. Mais on était plutôt un regroupement de photographes, on ne faisait pas beaucoup de choses en commun. On a rencontré Gaëtan et on a créé Bellavieza. On avait cette volonté de travailler ensemble et comme on était tous autodidacte, ça pouvait peut-être aussi nous rassurer.
Gaëtan Chevrier : Je me suis lancé tout seul en photo et quand j’ai voulu professionnaliser les choses, c’est d’abord passé par le collectif. Je voulais partager. Je n’étais pas sûr de moi dans ma pratique et travailler à plusieurs, ça permet de mettre de soi, mais à travers l’autre.
Que signifiait “travailler ensemble” pour Bellavieza ?
Gaëtan Chevrier : On faisait les phases de montage de projets, de choix et on éditait ensemble. Le modèle Tendance floue était une grande référence même si on l’a probablement fantasmé à un moment. On voulait vraiment être en autonomie, en indépendance, et on a essayé de garder ce cap jusqu’au bout.
Jérôme Blin : L’idée c’était vraiment de monter des projets en commun. Pendant tout un moment, on a tout donné au collectif. Sur les 7 premières années, on a bossé au moins tous les trois ou tous les quatre (suite à l’arrivée de nouvelles photographes, NDLR) ensemble.
À quoi ressemblait l’ambiance de travail ?
Jérôme Blin : Il n’y avait pas de hiérarchie. On était un peu des chiens fous au début !
Gaëtan Chevrier : Tous les trois, on avait des caractères assez forts, donc parfois ça montait. Mais c’était notre manière d’échanger, de construire. Parce qu’on s’est pris des murs, mais le fait de tomber n’était pas vraiment un problème : on était là pour se relever. Ça nous a fait une carapace mais inconsciemment ça nous a aussi un peu épuisé.
Jérôme Blin : Ce qui nous a fait du mal, c’est qu’on donnait de l’énergie, que ça ne rapportait pas un rond et que chacun avait quand même besoin de manger. Ça a un peu joué. Chacun essayait de trouver son rythme et ça n’a été simple pour personne.
Il vous a manqué un cadre ?
Gaëtan Chevrier : C’est bien de travailler ensemble, mais parfois tu n’avances pas. Il y avait des débats à ne plus finir. On a mis du temps à se rendre compte que notre manière de travailler n’était pas la plus efficace. Quand tu veux avancer, ambitionner des projets, ça pose question.
Jérôme Blin : On a été assez intransigeant au niveau du collectif, c’était intense. On a parfois loupé des marches et manqué d’un regard extérieur sur ce qu’on faisait. On devait perdre l’énergie à vouloir tout faire. Quand il s’est posé la question de faire entrer quelqu’un pour cadrer tout ça, c’était probablement déjà trop tard.
Vous avez quand-même choisi d’ouvrir le collectif.
Jérôme Blin : Les photographes Adeline Praud et Hanane Housni ont rejoint le collectif. À un moment donné on s’est aussi peut-être dit que ça pouvait le sauver.
Gaëtan Chevrier : On se connaissait tellement bien tous les trois que, quand on a ouvert le collectif, ça n’a pas été simple pour celles qui sont rentrées. Adeline, ça lui a servi aussi, je pense, d’être dans le collectif, mais elle n’est probablement pas arrivée à la bonne période. C’est quelqu’un d’ultra structurée. Elle est rentrée dans un truc qui était en bordel depuis des années. Elle a mis le pied dans la fourmilière. C’était plutôt sain, mais ça a fait remonter des choses qu’on ne voulait pas voir, qu’on laissait de côté, qu’on n’arrivait pas à prendre en main.
Et finalement, après dix ans, vous avez fait le choix d’arrêter.
Jérôme Blin : À un moment, il faut se poser et se demander : où je vais avec le collectif ? C’était dur parce que c’est réellement ce qui nous a porté pendant des années. C’était vraiment très puissant.
Gaëtan Chevrier : Même si on a des envies communes au départ, elles évoluent, c’est ça qui est riche mais au final à des moments tu peux te perdre dedans. Donc on a arrêté.
Jérôme Blin : Moi je me cachais individuellement derrière le collectif. Quand il s’est arrêté, j’ai dû mettre un an à retrouver ma place : s’afficher en tant qu’individu, c’était compliqué.
Qu’est-ce que vous retenez de cette période ?
Jérôme Blin : On n’a aucun remords, aucun regret. Ça nous a apporté plein de choses, des manières de travailler, des projets supers. On a quand même été à Arles ensemble ! Et puis toutes ces années ça nous portait sacrément, avec plaisir et avec une force incroyable. Il y avait une sorte de fierté d’avoir fondé et de faire partie de ce collectif. On n’avait aucun recul sur ce qu’on faisait et on s’en foutait, c’était bien comme ça. Maintenant on voit tout ce qu’on a produit.
Et sur le travail en collectif ?
Gaëtan Chevrier : Nous, ça ne nous a pas bloqué dans notre envie de bosser avec des gens, ça a plutôt été un tremplin. Tu tires des leçons des trucs négatifs comme des positifs. J’ai un projet : Versants, avec d’autres artistes : Jérôme Maillet et Tangui Robert, et je pense qu’on s’est trouvé aussi par le fait d’avoir digéré d’autres expériences collectives. On savait pourquoi on voulait travailler ensemble. Mais le fait de travailler à plusieurs c’est quelque chose qui me nourrit toujours. C’est pour ça qu’on continue à travailler avec Jérôme. On fait des projets en duo, à quatre mains. On a un seul appareil pour deux, on construit les images tous les deux. Après quatre projets ensemble, on a toujours cette envie. On se complète énormément. Et on a créé la maison d’édition Sur La Crête.
Cette maison d’édition permet aussi de mettre en lumière d’autres collectifs ?
Jérôme Blin : On sort le livre du collectif Globule noir : trois femmes photographes qui sont en collectif. Toutes les images sont mélangées, on ne sait pas qui a fait quelle photo. Mais c’est un collectif qui est plus léger, qui fonctionne de manière épisodique, c’est l’inverse de ce qu’on a pu faire.
Gaëtan Chevrier : C’est intéressant de voir qu’il y a d’autres types de collectifs qui existent, surtout en ce moment où on se rend compte, par des emails ou des gens qu’on croise, que les photographes sont vachement seuls. Nous on ne l’a jamais abordé de cette manière là, et on se rend compte de l’énergie que peut offrir le collectif.
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