Chaque mois, L’Œil de la Photographie s’intéresse au collectif photographique avec les mots de Benjamin Rullier. Loin de la figure de l’artiste solitaire, des photographes choisissent de se regrouper. Projets à plusieurs, passerelles entre les pratiques, réalités économiques : un membre fondateur ou actif vous présente son collectif, ses spécificités et ses enjeux. Entrez dans le groupe !
En juillet, Karoll Petit retrace la naissance du Bal des rejetons : 31 photographes rassemblés par une lettre de refus de la grande commande photographique de la BNF. Ensemble, ils ont surmonté leur frustration pour donner vie à leurs projets.
Comment est né ce rapprochement entre photographes qui ne se connaissaient pas ?
Ça a commencé par un message Facebook du photographe Anthony Micallef qui exprimait sa colère, sa déception de ne pas être retenu pour la grande commande photo de la BNF. Ce n’était pas de la jalousie, c’était bien plus complexe que ça, c’était constructif. On a été des centaines à lui répondre et à dire : enfin quelqu’un arrive à témoigner ce qu’on ressent.
Quel était votre sentiment personnel face à cette lettre de refus ?
En tant que photographe, on fait 5 à 10 dossiers de candidatures par an. On reçoit souvent des refus, ce n’est pas ça le problème. Le problème c’est de se dire qu’on ne fera pas partie des 200 qui vont être dans l’historique de la France. Tu peux même te poser la question : est-ce que je suis photographe ? D’habitude, je ne commente rien sur les réseaux sociaux, mais là le message d’Anthony Micallef était tellement bien écrit que j’ai eu envie de répondre, et ça a été le début de tout.
Comment êtes-vous passé de la discussion à la création ?
Rapidement, Anthony a créé un groupe Facebook privé avec les photographes qui ont répondu. Ce qui ressortait c’était surtout leur frustration de ne pas pouvoir avoir des fonds pour aller au bout d’un projet auquel ils réfléchissent depuis des mois. On a commencé à se dire : il faut se fédérer, faire quelque chose. Alors on s’est mis d’accord sur ce qu’on voulait faire : prendre les mêmes dates que la commande de la BNF pour réaliser nos sujets et on a créé une association avec toutes les personnes partantes.
Jusqu’ici, vous ne vous étiez jamais rencontrés ?
On s’est vu pour la première fois seulement quelques mois plus tard, en Bretagne à l’automne 2022. On était 20 sur les 30 et je ne connaissais personne. On s’est montré nos travaux respectifs et on s’est rendu compte que nos projets étaient tous très humanistes. C’était hyper émouvant. On est rentrés chez nous et on a continué à travailler sur nos projets pour qu’ils soient bouclés mi-janvier 2023. On était 31, il y a eu 30 sujets de faits. Celle qui n’a pas pu rendre son sujet a travaillé largement autant que nous en arrière-plan autour du projet du Bal.
Comment cet ensemble de projets est devenu Le Bal des rejetons ?
Une fois qu’on a tous fini, on s’est dit : maintenant qu’est-ce qu’on fait ? On a refait des visios, un weekend ensemble et rapidement, on s’est dit qu’il était impossible de vendre une exposition globale. On était trop nombreux. On a pris la décision de faire des diaporamas sonores. Les photos ont été accompagnées de musique ou de témoignages, d’ambiances. Et on a commencé à présenter ces travaux en festival : au festival Off d’Arles chez Jean-Christian Bourcart, aux Azimutés à Uzès, aux Nuits photographiques de Pierrevert, à la Quinzaine photographique nantaise. On a fait une quinzaine d’expositions.
Vous aviez aussi cette envie de créer un ouvrage photo ?
On s’est posé la question de faire un catalogue et finalement on s’est dit : on ose, on tente de faire un véritable livre. On l’a fait au culot parce qu’on était 30 à se lancer. Tout seul, tu n’oses pas. C’est incroyable cette force, quand on est à plusieurs. On a fait une campagne de crowdfunding et on n’avait pas prévu qu’elle ait autant de succès. Et puis on a eu la chance que les Editions de Juillet nous suivent. On a tiré 1000 livres et on a quasiment tout vendu. On a eu une bonne étoile tout au long du projet.
Un projet à votre image ?
C’est ça. Un bon exemple est celui de la couverture du livre. Ca faisait des jours qu’un des groupes de travail se prenait la tête parce que, d’un coup, il y avait cette peur de se dire que personne ne connaît le Bal des rejetons, que ça ne va parler à personne, qu’il faut peut-être utiliser un autre titre passe-partout. Mais moi, j’ai dit : on s’en fout. Les librairies, c’est le cadet de nos soucis, on va présenter le livre principalement en festivals. Alors on fait une couverture esthétique qui tabasse et point barre. On assume notre nom. Et au final, on est content de voir notre belle couverture rose jusque dans les rangées de la BNF !
Qu’est-ce qui ressort de ce projet ?
On est hyper fier d’avoir réussi à ne pas créer d’animosité. Surmonter la frustration de ne pas avoir été pris pour la grande commande photo et potentiellement de ne pas pouvoir faire son projet. Si tu restes frustré, tu vas essayer de trouver des coupables. Il y avait une colère mais on a tout de suite réussi à la transformer grâce au fait d’être plusieurs. Et quand on reçoit des retours d’autres photographes, ça nous touche. C’est souvent la question du culot : on nous remercie d’avoir osé.
Qu’est-ce que Le Bal des rejetons vous a apporté individuellement ?
Comme dit Anthony Micallef, si on s’est tous retrouvés, ce n’est pas anodin, c’est qu’on a des failles assez similaires : sur les questions du refus, du rejet. On est un peu tous des écorchés vifs et on a réussi à avancer ensemble. On a appris plein de choses. Sur la communication par exemple, une des photographes, Lucy Vigoureux, était très forte et elle nous a porté. Si elle n’avait pas été là, je ne sais pas comment on aurait fait. De mon côté, ça m’a permis d’avoir plus confiance, d’oser prendre position, de me dire que j’arrive à mener un groupe. C’est ce qui est génial dans les collectifs, on apprend à trouver notre place.
C’est quoi la suite ?
En interne on n’a pas réussi à lâcher le morceau parce qu’on a tous trouvé ça magique. Mais retrouver une dynamique c’est compliqué après toute cette effervescence. Jusque là, les sujets étaient trouvés, on avait le timing, c’était de la logistique. Pour un nouveau projet, il faudrait repartir de zéro. Ce qui nous a fait connaître, c’est aussi ce qu’on a fait de nos sujets : les expos, le livre en si peu de temps, donc il faut qu’on continue à étonner sur la monstration. Mais on ne veut surtout pas s’obliger à faire. Personne nous attend, on s’en fout, mais il y a cette envie à terme de faire une saison 2.
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