Créé à Paris, Fragment rassemble des individualités qui ont voulu faire communauté dans un milieu aussi solitaire que la photographie de rue. Après la publication de sept zines, des expositions et participations à des festivals, le collectif n’a pas vu arriver ses dix ans. L’occasion pour la première fois d’imaginer une création collective ?
Le collectif Fragment fêtera ses dix ans le mois prochain. Qu’est-ce qui vous a rassemblés à l’origine ?
Nicolas : À cette époque, c’était un peu la mode des collectifs. Il y avait des collectifs de street photography anglo-saxons qui communiquaient via Flickr. Je pense à iN-PUBlic, Burn My Eye, Observe. Mais de mon point de vue, il n’y en avait pas en France consacrés à la photo de rue. Moi, j’en faisais dans mon coin, et j’ai commencé à rencontrer d’autres photographes. On s’est dit : « Pourquoi ne pas se mettre en collectif, pour échanger, se donner de l’énergie, discuter ? » La photo de rue est une pratique hyper solitaire et parfois dure. On avait tous des interrogations sur les voies à suivre, alors créer une communauté avait du sens.
Thomy : La Street Parade (festival de photo de rue fondé par les photographes Jérôme Lorieau et Patrick Sagnes, NDLR) a été un moment fort. Elle a rassemblé de gros collectifs du monde entier, ça nous a permis de rencontrer d’autres photographes, de participer à des événements et d’avoir une vitrine pour Fragment.
Aujourd’hui, vous êtes huit membres, dont certains sont là depuis le début. Quels sont les types de photographes qui ont fait vivre le collectif ?
Yannis : Il y a un lien, un fil conducteur entre nous : le goût de raconter le monde qui est à nos portes, dans nos rues. Chacun à sa manière.
Thomy : À la base, on n’est pas que Français : Kramer est Américain, Fabio est Brésilien, etc.
Nicolas : Cédric Roux aussi a fait partie de Fragment.
Yannis : On a eu des stars !
Nicolas : Du coup, ils ne sont pas restés, haha !
Nicolas : On n’a pas de visée professionnelle, on n’apporte pas de travail. Parfois, il y en a qui ont envie de partir ou qui s’éloignent de la street photo.
Yannis : Thomy et Nicolas sont pros, mais moi, par exemple, je suis fonctionnaire. Donc la photo, c’est quand je peux.
Nicolas : Il y a aussi un directeur artistique, un ingénieur, un psychologue… D’ailleurs, c’est pas mal de faire autre chose, ça donne de la fraîcheur !
Quels ont été vos premiers travaux en tant que collectif ?
Yannis : On a fait un premier zine, qui réunissait les travaux des photographes membres, puis on en a fait six autres. L’idée, c’était de présenter des photos de l’année. Donc ça nécessitait d’en produire assez. Et ça, c’est motivant : si tu veux avoir tes photos dans un magazine, il faut en faire !
Nicolas : Le collectif permet d’avoir une deadline, c’est une motivation. La photo de rue, ça peut être assez évanescent : un jour, on n’a pas envie, il ne fait pas beau, on ne sort pas. Avec les zines, sachant qu’il y a un editing en fin d’année, une production, ça donne envie de produire plus, de se dépasser. Ça va être imprimé, ça reste, c’est ce qu’on représente. Et le travail de chacun peut être vu par tout un tas de gens qu’il n’aurait pas touchés autrement.
Thomy : L’editing de chaque zine se faisait par rapport aux images, pour les mettre en correspondance. Quand on fait les zines, on fait confiance à 3-4 personnes du collectif pour composer l’ensemble à partir des images qu’on transmet. C’est génial, ce sont vraiment de très bons moments. Le fait de rentrer dans un collectif, ça m’a permis de comprendre la notion de série. Le fait d’avoir un tas de regards différents, de confronter son travail à d’autres yeux qui connaissent cette pratique, d’avoir un avis pour avancer.
Après une phase très active, les parcours, les vies de chacun font que le collectif a une activité plus diffuse. Quelles sont les relations qui persistent ?
Nicolas : On a une boucle de messages entre nous qui est assez active. Quand j’ai des interrogations, besoin d’un avis ou de matos c’est le premier groupe vers lequel je me tourne.
Yannis : On se voit à des vernissages, à Arles, lors d’autres événements. Ça, c’est précieux !
Vous profitez aussi du collectif pour mettre en avant des travaux d’autres photographes et amener les gens à faire des photos.
Thomy : C’est important de rester ouvert, de ne pas être dans l’entre-soi d’un collectif, en montrant qu’on apprécie les travaux des autres. En photo de rue, on est toujours seul, alors montrer le travail d’autres photographes, c’est s’ouvrir et montrer que la street, c’est aussi une communauté.
Nicolas : Sortir des bonnes photos, c’est quand même pas fréquent. Donc c’est bien de mettre en valeur les autres. On le fait un peu sur les réseaux, même si aucun d’entre nous n’est passionné par ça.
Thomy : Chez nous, la moyenne d’âge doit être de 40-50 ans. On n’a pas emboîté le pas des réseaux sociaux comme d’autres l’ont fait.
Yannis : Il faut faire du bruit en permanence, et ce n’est pas forcément notre truc. Flickr, ça va moins vite, ça correspond peut-être plus à notre tempérament.
Dix ans, c’est un cap. Comment allez-vous marquer le coup ?
Nicolas : On s’est aperçu qu’on allait avoir dix ans il y a deux jours ! On va certainement faire une exposition à la rentrée. On réfléchit pour la première fois à un projet collectif pour ces dix ans. On a quelques idées, mais c’est confidentiel ! On a toujours eu des blocages vis-à-vis des travaux collectifs, mais là, c’est le bon moment pour partir de zéro, réfléchir tous ensemble à partir d’une thématique et se mettre un peu en danger.
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