Christian Caujolle: Vous êtes commissaire de la Biennale de Bamako pour la deuxième fois. Qu’est-ce qui a changé entre les deux ?
Michket Krifa : Nous avons essayé de développer un aspect qui a germé il y a 2 ans et qui depuis est en constant développement: la professionnalisation de la photographie en Afrique. C’est à dire davantage de critiques et de journalistes africains, de jeunes commissaires, des nouveaux réseaux et des échanges inter africains, des jeunes festivals de photos sur le continent. Egalement, l’émergence de collectionneurs africains et du marché de la photo africaine.
Pour moi, davantage d’expérience pour la conception d’un événement qui prend de plus en plus de notoriété et qui devient un véritable rendez-vous de la photo internationale, le travail avec une petite équipe qui s’est consolidée et rodée et avec qui on travaille en étroite collaboration.
Christian Caujolle: Vous êtes deux commissaires. Comment travaille-t-on en tandem pour une programmation artistique ?
Michket Krifa : Nous sommes assez complémentaires en fait. Chacune a une expérience professionnelle et un vécu parallèles et en même temps des points communs. Nous avons toutes les 2 un regard engagé sur le monde et partageons des points de vue et des formes de sensibilité artistique.
Etant moi même africaine, j’ai une vision interne innée du « SUD ». Un regard autre sur le monde, j’ai pendant longtemps travaillé et je me suis assez engagée pour la défense de cette altérité et sa valorisation. Laura de son côté amène une distance qui est intéressante et un autre regard. D’où la complémentarité.
Nous réfléchissons chacune de notre côté sur comment aborder la thématique, nous échangeons sur nos divers points de vue puis chacune fait des propositions artistiques qui évoluent au fur et à mesure et qui finissent par s’articuler autour d’un projet commun sur lequel nous nous mettons d’accord et que nous présentons communément.
Il y a bien évidement la sensibilité de chacune et ses propres gouts mais au final nous présentons une programmation sur laquelle nous sommes toutes les 2 convaincues.
Christian Caujolle: Depuis deux ans, le poids de l’actualité, du Nord au Sud du continent, a été très fort. Est-ce que cela a eu une incidence sur vos choix ?
Michket Krifa : C’est étrange car nous avons décidé de travailler sur ce thème bien avant les événements…Cela se profilait et nous l’avions perçu à travers les œuvres des artistes qui sont souvent un peu visionnaires. Nous avons bien évidemment pris en considération l’actualité dans la mesure où les artistes s’en sont fait l’écho.
Christian Caujolle: L’exposition Panafricaine apparaît comme le moment privilégié du festival. Est-ce qu’elle dessine une forme d’unité du continent comment pourrait le laisser penser son nom ?
Michket Krifa : L’exposition panafricaine est réalisée après un appel à candidature qui est diffusé. Il est le résultat d’une sélection. Cette année, nous avons reçu plus de 360 candidatures. Nous avons retenus entre 55 et 45 photographes et 10 vidéastes. La vidéo étant très présente dans la biennale. Davantage qu’une unité continentale c’est la pluralité des regards qui est intéressante. Le côté panafricain réside aussi dans la volonté de créer des réseaux d’échanges inter africains qui intègrent par ailleurs les diaporamas et également de présenter une sorte de panorama d’artistes africains autour d’un thème précis.
Christian Caujolle: Y-a-t-il aujourd’hui une spécificité de la photographie en Afrique ? Laquelle ?
Michket Krifa : Peut être pas une spécificité, mais comme la plupart des pays ou régions qui vivent des réalités très fortes, un rapport à la vie qui est très enraciné, où tout à la fois une dimension politique, mais aussi poétique et où l’approche esthétique et éthique sont très liées. Il y a différentes temporalités et l’ancien et le moderne fusionnent. Cela crée des formes très inédites et une contemporanéité intéressantes.
Christian Caujolle: Si vous deviez ne retenir qu’un artiste de cette édition, ce serait lequel ? Et pourquoi ?
Michket Krifa : On en parlera après la remise des prix !
