Christian Caujolle: Vous êtes commissaire de la Biennale de Bamako pour la deuxième fois. Qu’est-ce qui a changé entre les deux ?
Laura Serani: Depuis 2009 beaucoup de choses ont changé à tous les niveaux Conséquence du contexte politique et économique générale et de la vague de rebellions qui traverse le continent africain, des nouvelles énergies circulent partout au même temps que une plus grande instabilité.
Pour ce qui concerne directement les Rencontres, le 50e anniversaire de l’indépendance a permis au Mali comme à nombreux d’autres pays d’ entreprendre de grands travaux et de réhabiliter de lieux qui cette année ont pu être investis par la biennale.
L’expérience précédente nous a permis de pousser plus loin la réflexion, d’identifier les points importants et les points faibles, de mieux maitriser temps et situations avec une plus grande sérénité. Enfin les inquiétudes liées au fait de travailler avec des nouvelles équipes ont laissé la place au plaisir de les retrouver, je pense en particulier au personnel du Musée national du Mali.
Christian Caujolle: Vous êtes deux commissaires. Comment travaille-t-on en tandem pour une programmation artistique ?
Laura Serani: C’est un choix, en 2009 nous avions proposé un projet commun de direction artistique, ensuite nous avons été reconduites pour l’édition suivante. Pour travailler en tandem il est fondamental d’avoir une vision commune, de partager un projet global et d’être sur la même longueur d’onde.
Concrètement, d’abord on élabore une thématique et un programme, puis il y a des sections sur les quelles on travaille ensemble et des projets et des expositions que l’on suit individuellement. Cela permet un dialogue et des échanges pas si fréquents entre commissaire, en général plutôt orientés vers les artistes et habituées à travailler en solo. Dans les cas des Rencontres de Bamako ce dialogue s’étend souvent à Samuel Sidibé qui a le rôle clé de délégué générale et avec le quel est très intéressant de se confronter sur le programme une fois celui-ci défini.
Christian Caujolle: Depuis deux ans, le poids de l’actualité, du Nord au Sud du continent, a été très fort. Est-ce que cela a eu une incidence sur vos choix ?
Laura Serani: Nous avons choisi de travailler sur des thèmes directement connectés à des réalités politiques et sociales, les frontières en 2009, la « durabilité » cette année , chaque fois dans une conception large et dans la recherche de différentes approches et démarches artistiques. Au printemps les révoltes en Tunisie et en Egypte ont forcement focalisé notre attention comme celle de tout le monde, il nous a semblé important de donner la parole aux photographes et aux artistes qui étaient très impliqués dans le mouvement, et ainsi Michket a monté le projet sur « le printemps arabe ».
Christian Caujolle: Voyez-vous apparaître de nouvelles directions et en quoi sont elles différentes de ce que l’on peut observer en Europe ?
Laura Serani: Il s’agit de questions de fond très intéressantes qui mériteraient des réponses difficiles à formuler à quelques jours de l’ouverture de la biennale, entre deux accrochages. La photographie évolue à grande vitesse , notamment en raison de la révolution numérique, du développement du marché de l’art, de l’accentuation, de pratiques hybrides et autres.
En Afrique, même s’il est difficile de généraliser, vu la variété des réalités à travers le continent, la photographie subit également et avec des degrés différents ces mêmes influences.
Le numérique permet de réduire les distances, de rompre l’isolement du quel souffrent souvent les photographes en Afrique, de réduire les coûts et les problèmes liés à l’approvisionnement en matériel et du coup, de produire davantage. Toute une nouvelles génération a ainsi accès à la photographie.
Loin des écoles et des influences , la photographie africaine grandit loin aussi des regards formatés et des tendances dans une plus grande spontanéité et liberté d’expression.
Des aspects qui me semblent émerger souvent sont la créativité , l’originalité et l’engagement, même à travers un discours décalé, l’ironie ou la métaphore.
Christian Caujolle: L’exposition Panafricaine apparaît comme le moment privilégié du festival. Est-ce qu’elle dessine une forme d’unité du continent comment pourrait le laisser penser son nom ?
Laura Serani: L’exposition Panafricaine propose plutôt un état de lieux, évidemment sans prétentions d’exhaustivité, de la production et de la création contemporaine avec un focus sur une thématique particulière . Plus que d’unité je parlerais de complexité
Christian Caujolle: Y-a-t-il aujourd’hui une spécificité de la photographie en Afrique ? Laquelle ?
Laura Serani: Pendant longtemps le portrait en studio, au coeur du métier de photographe, a caractérisé la spécificité de la photographie africaine. Aujourd’hui cette pratique est beaucoup moins présente, le marché ne dictant pas vraiment d’autres tendances, liées à la presse, l’illustration ou l’édition, les langages se diversifient et les recherches artistiques s’élargissent .
Mais il me semble d’entrevoir une certaine spécificité dans l’attention et le regard critique portés par les photographes sur la réalité circonstante et dans un engagement, direct ou indirect , très fréquents.
Christian Caujolle: Si vous deviez ne retenir qu’un artiste de cette édition, ce serait lequel ? Et pourquoi ?
Laura Serani: Heureusement ce n’est pas à faire …La sélection pour l’exposition panafricaine, où 55 artistes ont quand même été retenus, a déjà été un exercice assez acrobatique et sensible …