Aucune fumée n’est solide. Elle bourgeonne de son vide et de sa transparence, comme un organisme biologique en croissance dégénérative. Tout ce qui la saisit la rend plane. Irrémédiablement. Et alors on ne peut plus regarder à travers elle, car elle devenue désormais aussi impénétrable et figée qu’une feuille de métal.
Parfois, plus je regarde, moins je sais réellement. Plus je regarde, et plus je réalise que mon regard change la nature des choses, jusqu’à ne plus savoir ce que la réalité aurait été ou créé si je n’avais pas vu cela. C’est difficile à comprendre. En fait c’est surtout difficile à accepter. Parce que cela signifie que l’oeil est un conduit où le liquide s’écoule en deux sens. Qui voudrait accepter que ce qu’il croit voir n’est qu’une trace laissée dans la matière sèche d’un herbier? Et pourtant c’est vrai. La vie transparait. La lumière ne filtre rien elle-même, elle vient jusqu’à moi, entière ou inexistante. Je ne l’arrête pas, même si mes yeux en sont ivres. Je ne lui renvoie que des faits, des rapports de mort certaine. Pourtant aucun feu sur terre ne crache des volutes de métal solide. J’aimerais parfois ne pas voir, parce que rien de vivant dans le ciel ne peut se saisir
Babette Pauthier