Artiste et chercheuse espagnole, Ixone Sádaba (1977, Bilbao) exerce depuis une vingtaine d’années. Titulaire d’un diplôme d’art de l’Université du Pays Basque, elle a été exposée au musée Guggenheim de Bilbao, au musée Reina Sofia de Madrid ou encore au MOCCA de Toronto. C’est aujourd’hui au centre culturel et d’art Azkuna Zentroa à Bilbao que ses images de la centrale nucléaire abandonnée de Lemoiz sont projetées, grandeur nature Escala 1 :1 (Échelle 1 :1). Rencontre.
Jean-Jacques Ader : Est-ce vous qui avez choisi de travailler sur la centrale nucléaire de Lemoiz et pourquoi ?
Ixone Sádaba : Tout a fait. Cela a commencé pendant le confinement, quand nos déplacements étaient limités. J’étais en balade à moto avec un ami, nous passions par cette route près de la centrale, j’ai vu des bâtiments envahis par la végétation, et, en regard de l’histoire politico-sociale de la construction de la centrale, et d’un coup tout le passé m’est revenu. L’histoire de sa construction date de l’époque de Franco, en 1972, qui prévoyait l’installation de quatre centrales, et celle de Lemoiz a été abandonnée en 1984, après la transition politique avec beaucoup de troubles sociaux. Une deuxième lecture, de mon point de vue, concerne l’anthropocène, l’effondrement, les problèmes environnementaux etc… Je trouvais incroyable que personne n’ait fait de recherches là-dessus.
Pourquoi présenter le rendu dans l’exposition à l’échelle réelle (1 :1) ?
IS : Parmi les thèmes que je comptais aborder, l’échelle de la représentation était primordiale. Quand vous regardez la centrale de haut, elle apparaît très grande mais jamais aussi impressionnante que quand vous êtes juste devant. Aussi, l’architecture des ces bâtiments est d’une autre époque, d’un temps et d’un esprit impérialiste. Bien sûr, l’échelle est importante en photographie. Les projections d’images partent donc du sol pour donner aux visiteurs une vision la plus réaliste possible ; ici au centre d’art, il y a de très grandes salles qui permettent ça.
Vous avez pris certaines photos en couleur (présentées sur stands dans des portfolios) mais les grandes projections sont en noir et blanc
IS : Je n’ai pas de préférences particulières en photographie ; je suis même assez critique sur le médium quand je l’utilise, mais je me dis que si je vois en couleur je dois photographier en couleur. En revanche, dans ce projet je pense que le noir et blanc facilite le dialogue entre l’infrastructure des bâtiments et la végétation environnante.
Comment vous y-êtes vous pris entre les prises de vues en vision subjective, à l’échelle, et la reproduction sur différents écrans ?
IS : Oh, c’était un cauchemar… (rires) J’ai du définir un cadre avec mon appareil à une échelle 1 :1 en visant un élément précis dans l’image, depuis un point de vue spécifique ; et ensuite me déplacer latéralement, en comptant mes pas, avec les repères de distance matérialisés par des cordes, pour pouvoir englober les bâtiments en deux ou cinq prises de vues, selon les cas.
J’ai lu dans votre bio que vous traitez des « scénarios politiques » comme ce projet de centrale nucléaire inaboutie, mais est-ce le regard qui est politique ou le sujet ?
IS : Je crois que c’est les deux, non ? Le lieu où se trouve la centrale n’a jamais été contaminée par exemple, mais il existe une contamination sociale et politique, et c’est d’ailleurs pour cela que le site est fermé et toujours sécurisé, cinquante plus tard. Et quand vous regardez ce site ou les images du site, vous le regardez depuis votre place, bien définie, vous choisissez aussi votre point de vue.
Vous semblez prêter attention autant à la forme de représentation qu’au contenu de vos œuvres.
IS : Oui, c’est une réflexion sur mon travail mais aussi sur la photographie. Cette exposition Escala 1 :1 comporte deux sujets : la centrale nucléaire bien sûr, et l’autre c’est la photographie, ou son histoire du moins. Parce que la photographie tient une place à part dans la représentation de l’idée de progrès. Par exemple l’énergie nucléaire, dont nous connaissons les risques terribles, et le fait que ce n’est pas une solution viable. La photographie a contribué à cette idée que le progrès peut être bénéfique.
Être photographe est-ce être à la bonne distance ?
IS : Je crois qu’on doit être dans le sujet. Quand on regarde une photo on ne voit pas d’appareil photo, mais il n’y a pas de photographie sans appareil. Je considère comme une performance de réaliser des prises de vues ; ici, c’était un peu David contre Goliath à cause de l’immense taille des bâtiments, tout ce béton, isolés au milieu de nulle part, j’ai dû jouer avec la lumière ou plutôt elle jouait avec moi, j’ai dû y revenir à de nombreuses reprises, plus d’une vingtaine de fois, pendant des heures, c’était très physique. Aussi, plutôt que de choisir la bonne distance de son sujet je crois qu’il faut y plonger dedans.
Est-ce compliqué d’être fidèle à la réalité ?
IS : Bien sûr. La photographie ne peut pas être objective, elle vient forcément d’un point de vue. Voilà pourquoi il est important de se rappeler, même si on ne voit pas l’appareil photo dans les images, qu’il est constitutif de la photographie, donc tout est subjectif. La distance, l’échelle, la taille, les couleurs. Je crois en fait que le point principal de cette expo est que, rendre compte à l’échelle 1 :1 est impossible, on ne peut pas être parfaitement fidèle à la réalité.
Jean-Jacques Ader
ESCALA 1 :1, exposition d’Ixone Sádaba au Azkuna Zentroa Alhóndiga de Bilbao (Biscaye, Espagne) du 6 février au 27 Avril 2025.
Commissaire d’exposition : Carles Guerra (enseignant et critique d’art)
Informations : https://www.azkunazentroa.eus/en/
https://www.ixonesadaba.com/