L’an dernier, la programmation des Rencontres de la photographie d’Arles avait déçu. En particulier dans son approche des trente ans de l’École nationale supérieure de la photographie qui manquait d’un parti pris, comme fut celui du BAL en décembre dernier avec l’exposition « Ceux qui arrivent » qui proposait un état des lieux de la nouvelle génération à travers huit travaux de jeunes photographes et vidéastes, récemment diplômés de l’École nationale supérieure de la photographie. Absence de ligne éditoriale, expositions trop nombreuses – avec finalement peu d’entre elles se détachant du lot en termes de contenu –, faveurs trop larges envers les photographes de Magnum invités à exposer régulièrement ou à assurer des commissariats (comme Martin Parr ou Raymond Depardon) et prix élevé du forfait journée (27 euros). Les critiques depuis quelque temps se renforcent autour de ce grand rendez-vous annuel des professionnels et amateurs de photo dirigé depuis 2002 par François Hébel et présidé par Jean-Noël Jeanneney. Des noms comme ceux de François Cheval (directeur du Musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône) et de Sam Stourdzé (directeur du Musée de l’Élysée) circulent même dans le cas d’un changement de direction ou, du moins, d’une nomination d’un directeur artistique pour l’ensemble de la programmation.
Les allers-retours de François Hébel
Les Rencontres créées en 1969 par Lucien Clergue, Jean-Maurice Rouquette et Michel Tournier auraient-elles besoin d’un autre souffle de renouveau que donna François Hébel lui-même ? Une première fois en 1986 lorsqu’il arriva à leur tête : introduisant la couleur, les grands formats, le mécénat et investissant avec des expositions les anciens ateliers SNCF en déshérence avant de quitter la direction du festival à la fin de l’édition 1987 pour revenir en 2002, appelé une deuxième fois à la rescousse d’une manifestation lourdement déficitaire (450 000 euros) et à la recherche d’une autre dynamique. Nouvel élan qu’il donnera à la manifestation en projetant dans d’autres ambitions avec ce sens de la gestion, de l’organisation qui ne lui ont jamais fait défaut. Apurement du déficit, relance et développement du mécénat, choix de commissaires invités variés ouvrant à des grands noms – Nan Goldin, Christian Lacroix, etc. – et à des conservateurs d’institution – Clément Chéroux ou Sylvie Lécallier –, allongement de la durée des Rencontres jusqu’à septembre, création de la « Rentrée en images » permettant à des élèves accompagnés de leurs enseignants de découvrir la programmation, développement exponentiel des stages photo et accroissement régulier de la fréquentation (record de 84 000 visiteurs en 2011, mais baisse l’an dernier à 75 000). Les Rencontres de la photographie d’Arles ont connu ces dix dernières années un développement sans précédent. Un déploiement couplé avec la montée en puissance des expositions de l’association du Méjan – fondée en 1984 par Jean-Paul Capitani et Françoise Nyssen d’Actes Sud –, mais surtout de celle de Maja Hoffmann et de sa fondation Luma engagée au Parc des Ateliers dans la création d’un vaste campus culturel, dédié à la création contemporaine et conçu par Frank Gehry et Bas Smets. Maja Hoffmann, qui siège aussi au sein du conseil d’administration des Rencontres, soutient depuis dix ans via sa fondation le Prix Découverte et participe à hauteur de 180 000 euros au financement du festival, avec l’an dernier une rallonge de 50 000 euros de subvention pour boucler le budget.
Les projets de Maja Hoffmann
Car aujourd’hui, c’est surtout Maja Hoffmann qui conditionne la future configuration des Rencontres de la photographie d’Arles au niveau de ses expositions organisées au Parc des Ateliers, constituant l’accueil d’environ la moitié de sa programmation. « La demande de permis de construire de la tour d’acier et d’inox (deuxième mouture) de Franck Gehry a été déposée fin 2012 et son instruction a lieu en ce moment même, précise Maja Hoffmann. Parallèlement à ce parcours administratif, le processus de transfert du foncier est en cours, le foncier étant composé de l’ensemble des bâtiments présents sur la ZAC du Parc des Ateliers, notamment : la Grande Halle, la Mécanique et les Forges. » Autre transfert également en cours mené par l’Agence régionale d’équipement et d’aménagement (opérateur de la région PACA pour l’aménagement de cette vaste friche industrielle) : celui du Magasin électrique, autre bâtiment du site, qui deviendra le siège et les bureaux d’Actes Sud et qui, pour l’heure, accueille chaque été les expositions de l’association Méjan. « Si le permis de construire nous est accordé, nous commencerons les interventions sur les bâtiments existant immédiatement après la clôture du Festival des Rencontres de 2013, explique Maja Hoffmann. Le principe étant que dès que l’intervention sur un bâtiment est terminée, nous l’utiliserons pour accueillir notre programmation qui, à terme, occupera à l’année l’ensemble du site. Si le permis ne nous est pas accordé, cela mettra un point final à notre action. » Elle ajoute : « nous avons bien évidemment initié une conversation avec le Festival des Rencontres », tout en soulignant la complémentarité de leurs offres culturelles. Des échanges ont d’ailleurs déjà eu lieu pour le partage des espaces de la programmation des Rencontres 2013 au niveau du Parc des Ateliers, mais aussi pour les années à venir.
Les contre-propositions des Rencontres
L’an dernier, François Hébel avec Jean-Noël Jeanneney ont en effet concocté un projet de développement des Rencontres pour 2012-2020 visant à faire d’Arles un Centre mondial de la photographie et du Parc des Ateliers, le Parc des Ateliers de la Photographie à Arles. Un projet qui est apparu très vite comme un contre-projet à celui de Maja Hoffmann, du moins un projet qui entend se garantir face au programme de transformation du Parc des Ateliers annoncé par la Fondation Luma, un certain nombre de bâtiments sur le site durant le temps du festival mais aussi à l’année. « C’est un projet global à la hauteur de ce qu’est devenue la manifestation au niveau national et international et qui a pour objectif de la structurer pour lui assurer un avenir en articulant à l’année une activité d’exposition, de formation et d’éducation », explique François Hébel. Ainsi est née la proposition de la mise aux normes muséographiques des lieux d’exposition du festival, qui voit de plus en plus de projets annulés ou menacés de ne pas voir le jour au vu des conditions actuelles de monstration. Sont également envisagés d’octobre à mai, la programmation d’une exposition, à l’Atelier de Mécanique, consacrée à l’histoire de la photographie à travers les collections nationales et la création (toujours au sein du Parc des ateliers) d’une activité commerciale de construction de décors, d’un centre européens de stages ouvert à l’année et d’une bibliothèque spécialisée en photographe. À leurs côtés : un lieu d’accueil pour les scolaires, une activité de congrès des métiers et des industries de l’imagerie, des résidences d’artistes. Coût de l’opération estimé par François Hébel : 47 millions d’euros sur dix ans et le financement de la structure par l’État, la région, la municipalité pour une partie, et par les activités qu’elle générera pour l’autre.
C’est maintenant au ministère de la Culture et de la Communication, au conseil régional et à la municipalité d’Arles de se positionner vis-à-vis de ce Centre mondial de la photographie, bien qu’il semble peu probable que François Hébel soit entendu face au programme ambitieux de Maja Hoffmann pour le Parc des Ateliers qu’elle prend financièrement entièrement à sa charge. À moins que le permis de construire ne soit à nouveau rejeté, les Rencontres de la Photographie devront revoir leur voilure et repenser leur avenir.
Christine Coste pour Le Journal des Arts (n°384 / Du 1er au 14 février 2013)