Une exposition du Pavillon Populaire de Montpellier présente une sélection des photographies prises par deux jeunes chercheuses, Thérèse Rivière et Germaine Tillion, lors d’une mission ethnographique conduite à partir de 1935 dans l’Aurès. Situé dans l’Est algérien à la lisière du Sahara, l’Aurès, rude massif traversé de gorges, abrite alors quelque soixante mille Chaouia, population berbère conservant une économie agropastorale organisée autour de ses greniers collectifs, les guelâa. À la différence d’autres régions de l’Algérie, cette zone n’a pas subi massivement l’expropriation coloniale des terres indigènes et a longtemps fait figure de « montagne rebelle ».
Lieu, en 1916, d’un soulèvement contre la conscription militaire, elle sera, dès le 1er novembre 1954, l’un des épicentres de la lutte indépendantiste. L’Armée française y expérimentera alors la politique de « regroupement » des populations villageoises qui achève de déstabiliser une société dont Germaine Tillion avait déjà observé la nette « clochardisation » entre 1935 et 1954.
De même que la célèbre mission Dakar-Djibouti (1931-1933) conduite par les ethnologues Michel Leiris et Marcel Griaule en Afrique subsaharienne ou que l’expédition en Amazonie de Claude Lévi-Strauss (1934), la longue enquête des deux chercheuses est menée au nom du musée d’Ethnographie du Trocadéro (qui deviendra en 1937 le musée de l’Homme). Thérèse Rivière s’y est plutôt consacrée à l’étude des activités matérielles et de l’économie domestique et Germaine Tillion à celle des relations de parenté et de pouvoir dont traiteront par la suite ses ouvrages Le Harem et les cousins (1966) et Il était une fois l’ethnographie (2000).
« Témoignage de la pratique ethnographique des années 1930, les photographies prises par Thérèse Rivière et Germaine Tillion au cours d’une mission conduite sur plusieurs années dans l’Aurès donnent à voir une société traditionnelle encore préservée et la différence des regards que chacune des deux chercheuses porte sur elle. Elles ramènent également à la source des engagements algériens de Germaine Tillion après 1954 et à sa pensée d’ethnologue », explique Christian Phéline, la commissaire de l’exposition.
Longtemps oubliée, la masse des images fixes et animées, des relevés graphiques, des enregistrements sonores, des notes de terrain alors réunies et le millier d’objets versés par elles dans les collections du musée donnent la mesure de la tâche exceptionnelle d’observation accomplie par ces formidables ethnographes de terrain. Outre le choix de photographies ici présentées, en témoigne à la fin du parcours une remarquable série de fac-similés des dessins recueillis par Thérèse Rivière parmi les enfants et les adultes de plusieurs villages de la région.
Le regard porté par les deux jeunes femmes sur la société aurésienne d’alors peut être rapproché de la démarche qui, avec les américains Walker Evans, Dorothea Lange et les autres membres du programme de la Farm Security Administration, s’est, dans les mêmes années, attachée à documenter par l’image et par le texte la situation sociale de la paysannerie pauvre du Sud des Etats-Unis frappée par la grande crise des années 1930. Poursuivant une tradition déjà longue de la représentation aurésienne, leur pratique photographique impose la singularité du regard propre à chacune d’entre elles.
Au-delà de leur intention documentaire et pédagogique de départ, la présentation de leurs photographies invite aujourd’hui à réévaluer ce moment de la pratique ethnographique et à redécouvrir le visage d’une société traditionnelle bientôt bouleversée par les affrontements de la période 1954-1962, en même temps qu’elle resitue désormais ces images dans une histoire tant esthétique que sociale de la photographie.
Aurès, 1935 : Photographies de Thérèse Rivière et Germaine Tillion
Du 7 février au 15 avril 2018
Pavillon Populaire
Esplanade Charles-de-Gaulle
34000 Montpellier
France