The Red Eye : « Circulation(s) est une utopie joyeuse, une pensée collective »
Le duo Audrey Hoareau et François Cheval forme la direction artistique du Festival Circulation(s) pour sa neuvième édition au 104 à Paris à partir du 20 avril. Un tour d’horizon avant le lancement de l’événement qu’ils ont livré à L’OEil de la Photographie.
À quoi va ressembler cette édition ?
François Cheval : On peut supposer qu’elle sera un peu différente des éditions précédentes. En particulier, d’après les analyses que nous avons faites des dernières éditions, celle-ci s’attachera surtout à repenser le parcours du visiteur. C’est-à-dire que nous ne serons plus dans l’accumulation de photographes qui se retrouvent exposés par ordre alphabétique. On a pensé, tous ensemble, que cette année il fallait peut-être opérer par grandes sections, par grands regroupements. Ce que nous avons envie, cette année, c’est de faire en sorte que ce Festival soit là pour enregistrer les transformations de la jeune photographie européenne. On est pas là pour donner au marché des marchandises nouvelles. On est là pour sentir sur le continent européen quelles sont les sensibilités contemporaines ces temps-ci.
Alors quelles sont-elles ?
Audrey Hoareau : On a dégagé plusieurs thématiques. Déjà on s’est rendu compte qu’il y a un bon nombre de photographes qui s’intéressent à récupérer des fonds d’archives ou à travailler sur des collections d’images récupérées, ou dans un cadre intime, familial, ou dans d’autres cadres. Il s’agit de toute la partie qu’on va aborder à l’extérieur du 104, dans la grande halle. Après on a dégagé d’autres thèmes comme le paysage, comment on parle du paysage aujourd’hui avec une dimension écologique et politique, comment on parle de la notion de territoire aussi. Et puis on a une thématique qui se rapporte au corps, à la souffrance, à la douleur intime.
François Cheval : Ce sont des expériences personnelles. Ce sont des photographes qui travaillent sur un événement traumatique qui les a frappé et ils essayent de trouver une réponse thérapeutique avec la photographie.
Il y a des travaux que vous pouvez dès à présent nous dévoiler ?
Audrey Hoareau : Oui, parmi les 37 artistes, il y a par exemple, sur la thématique du corps et de la souffrance, le travail de l’allemande Sina Niemeyer. Elle relate son traumatisme d’avoir été abusée sexuellement lorsqu’elle était enfant. Des photographies très intimes ainsi qu’une vidéo bouleversante où elle va interroger son agresseur qui est dans le déni. Un sujet très fort.
François Cheval : Oui, on voit bien ici l’exemple d’une photographie thérapeutique. Sur la thématique du territoire, il y a le travail d’Emile Ducke qui s’est intéressé à un train médical en Sibérie. C’est une histoire incroyable et que la photographie permet de révéler. Il s’agit d’un reportage assez classique, mais qui pointe du doigt quelque chose que personne ne connaît et notamment le fait que dans ce train il y a une chapelle ! C’est dire la présence de l’église orthodoxe dans la Russie de Poutine…
Audrey Hoareau : Autre travail sur le territoire, celui du finlandais Jaako Kahilaniemi. Un jour, il a reçu en héritage un terrain de 100 hectares de forêt en Finlande. Au lieu d’analyser combien il pourrait en gagner, il a préféré s’interroger sur la nature même de ce terrain : qu’est-ce qui le compose ? Qu’est-ce qui modifie le territoire ? Comment cela est marqueur de l’identité finlandaise…
François Cheval : Il y a aussi la série réalisée par la française Camille Gharbi, « Preuves d’amour ». L’artiste s’est penchée sur la question des violences conjugales. Elle a photographié les objets qui ont été à l’origine d’une agression en France : un couteau, une batte de base-ball, un fer à repasser… Ce travail, nous avons tenu à le montrer à la Gare de l’Est dans le cadre du partenariat que nous avons avec elle.
Audrey Houareau : Pour nous c’était important d’exposer ce travail dans un lieu où passent 170.000 personnes chaque jour.
Vous avez crée « The Red Eye » en 2016, une structure dédiée à la photographie. C’est une belle opportunité pour vous cette direction artistique j’imagine ?
Audrey Houareau : On a beaucoup de choses réunies dans ce projet. Tous ces jeunes photographes, l’équipe qui est vraiment compétente, le lieu (le 104) qui est dans un quartier de Paris où c’est une forme de public qui nous intéresse, le défi de viser les adolescents…Tout cela nous motive et ça fait partie du type de projets que nous voulons défendre avec The Red Eye.
François Cheval : Ce qui nous intéresse c’est de trouver un public pour des formes intelligentes et sensibles. C’est une rencontre qui nous va vraiment bien. C’est une pensée collective, une action collective… On aime beaucoup ça. Circulation(s) a un côté « utopie joyeuse ».
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin