Il est drôle, parfois déroutant… Après 20 ans de bons et loyaux services à Chalon-sur-Saône, François Cheval quitte le musée Nicéphone Niépce. En guise d’au revoir – temporaire, parce qu’il vogue vers de nouvelles aventures –, il s’est prêté au jeu du “Vous avez dit ?” en réagissant du tac au tac à vingt mots clés pour vingt années passées au musée…
1/Rouge ?
J’ai toujours été quelqu’un d’assez libre, je suis né en 1954, je viens de Besançon. Dans les années 70, j’étais un militant PSU, c’est-à-dire du parti de l’auto gestion. Besançon, c’est la ville de Pierre-Joseph Proudhon. Mon code génétique, il vient de là. Je suis un petit bourgeois, mais qui sait pour qui il travaille. Rouge, oui, c’est la couleur de ce monde qui est mal fait. Je pense que ce monde a besoin d’être changé et que le rôle des artistes est d’en donner une autre perception, de le critiquer pour le modifier. Donc rouge, pour moi, c’est une belle couleur.
2/Musée ?
J’ai connu la grande période des musées. Je fais partie des gens qui pensent que ce qu’a fait Lang et son ministère est vraiment un exemple… A partir de 1981, s’est mis en place un maillage de tout le territoire français, pour que la nation puisse accéder à un autre niveau qui passe par la culture. La culture, ce n’est pas une accumulation de savoirs, c’est avant tout la possibilité donnée à tout le monde d’avoir un sens critique. Etre cultivé, c’est ne pas subir la culture imposée.
3/Musée aujourd’hui ?
J’ai eu la chance d’avoir des moyens, une écoute et la possibilité d’expérimenter en permanence, de donner les moyens à des artistes de proposer une autre vision du monde. Le musée est une idée de l’Abbé Grégoire qui date de la Révolution française, ce que le gouvernement actuel a oublié en misant tout sur le spectacle vivant et en cherchant à ne donner satisfaction qu’à une partie du milieu culturel. On a oublié que le regard sur les œuvres est une chose exceptionnelle. Se battre contre la marchandise, c’est donner un temps de contemplation aux gens, à tout le monde, et surtout aux exclus de la culture.
4/Festival ?
J’ai écrit un texte à ce propos qui est fondateur, selon moi, intitulé “Pour un festival de photographie utile !” (A lire ici). Il y a un temps où on peut dire ce qui nous déplaît chez les autres et il y a un temps où il faut se confronter à la réalité. Invité pour l’éditions 2017 du festival Bordeaux-Mérignac, je vais essayer de mettre en œuvre ce que j’ai dit. Par exemple, la première chose qui me paraît importante, c’est de payer les photographes. Chose simple mais pas évidente… Peu de festivals le font en France. Pourtant, la moindre des choses, c’est qu’un artiste soit rémunéré.
5/Mécénat/partenaire ?
Je viens d’un milieu qui, traditionnellement, a une vraie méfiance de l’entreprise. Au fil du temps, j’ai réussi à mettre en cause ce présupposé. Aujourd’hui, l’entreprise respecte les artistes, ce que malheureusement souvent on ne trouve plus dans le service public.
6/Concours/prix ?
C’est une bonne chose qu’ils existent mais se rendre compte que l’économie ne repose que là-dessus, c’est avoir conscience qu’il y a un réel problème. Ce n’est pas normal que les photographes ne trouvent plus leur place dans la presse ou même dans le corporate…
7/Collection ?
Paul Jay, le fondateur du musée Nicéphore Niépce en 1972 a fait un travail phénoménal : de la collection de Niépce qui comprenait une centaine d’objets, il a fait un musée qui réunit entre autres choses la plus belle collection européenne de Mario Giacomelli, de Hans Hartung photographe (à part la Fondation qui porte son nom). Paul Jay a compris que Jean-Pierre Sudre et Denis Brihat n’étaient pas de simples décorateurs de salon… A partir de ce fond, il était très facile pour moi d’ouvrir à d’autres choses… Je suis très content de dire que le musée Nicéphore Niépce est devenu la maison de Patrick Tosani, celle d’Ange Leccia, de Mac Adams, Stanley Greene, Antoine d’Agata… C’est là qu’a eu lieu la première exposition muséale de Raphaël Dallaporta, etc. En résumé, en 20 ans, on a défendu 140 photographes contemporains et, pratiquement à égalité, des hommes et des femmes. C’est très important… Parce que la photo est aussi une affaire de femme. J’insiste : la grande majorité des photographes sont des femmes…
8/Résidence ?
Je n’ai jamais pensé qu’un musée de province était là pour abonder ce qui est connu et reconnu. Un musée, c’est donc aussi offrir la possibilité à un artiste d’avoir les moyens de passer à une étape supérieure. La résidence en est un.
9/Militer/s’engager ?
Depuis 32 ans que je fais ce métier – je suis sociologue et ethnologue de formation – je me suis rendu compte qu’à chaque fois que j’écris dix ou quinze pages, j’ai peu de lecteurs. Les artistes, eux, sont plus efficaces. Je crois vraiment au fait que les artistes sont des passeurs… C’est un peu romantique comme vision, mais j’attends des artistes qu’ils nous amènent ailleurs.
10/Ce que tu a le plus aimé faire au musée ?
Travailler avec l’équipe que j’ai constituée. J’ai vraiment été heureux avec elle. Tous les jours, le bonheur c’était de travailler en équipe.
11/Ce que tu as détesté ?
Pas grand chose… Les derniers moments…
12/La photo il y a 20 ans, la photo aujourd’hui ?
Quand je suis arrivé, il y a vingt ans, je ne connaissais rien à la photo. Tous les jours j’ai appris… Tous les jours, je me suis rendu compte que la technologie avançait plus vite que moi. On ne peut pas prévoir ce que sera la photo dans dix ans. Quand je suis arrivé, les clés USB n’existaient pas… J’ai eu la chance d’avoir un responsable de labo qui m’a dit de passer à la numérisation. Si tout évolue, ce qui ne change pas, c’est qu’il y a aura toujours des jeunes ou des vieux qui auront envie de raconter des histoires avec des images.
13/Instagram/Internet ?
Je suis assez efficient sur Facebook… Les réseaux sociaux sont des outils incroyables qui me permettent de faire passer des idées parce que, là, je sais que les gens me suivent. Sans aucune humilité, j’y ai publié quelques beaux articles. Je suis même un peu addict : je me dis que si je ne fais pas un post tous les trois jours, je ne suis pas sérieux…
14/Photographe : auteur et/ou amateur ?
Je n’ai jamais voulu opposer auteurs et amateurs. La seule chose qui m’intéresse, c’est le photographique en tant que concept. La photo est un médium qui donne la possibilité à tout le monde de s’exprimer dans des registres différents. Au musée, on a pris le même pied à travailler avec les uns ou les autres. La photographie est un objet complexe. Et les pros comme les amateurs se retrouvent avec le même cahier des charges ; il est difficile de tracer des frontières… Niépce a inventé un objet qui permet à tout le monde de trouver sa place. Cela aurait été scandaleux de ne pas prendre en compte ces pratiques diverses.
15/Découverte ?
Brihat est quelqu’un que j’ai découvert sur le tard. C’est une honte… Tout cela parce que j’avais des apriori idéologiques et parce que je préférais la photographie américaine de rue que je trouvais plus moderne et plus juste… Il m’a fallu du temps pour comprendre que l’un n’exclut pas l’autre. Il n’y a pas un photographe que j’ai défendu ici pour lequel je n’ai pas eu une vraie empathie. Pourtant, ils m’ont fait du mal… Dans le sens : leurs images m’ont fait souffrir parce qu’ils m’ont poussé dans mes retranchements, et m’ont fait aller au-delà de mes certitudes.
16/Bilan ?
Je n’ai jamais aimé l’idée de faire un bilan, je vis au jour le jour. Il en va de la photographie comme de ma vie : je n’ai pas de bilan à faire parce que ma vie continue… J’ai encore des choses à prouver.
17/Regrets ?
Non je n’ai pas de regret… Même si je fais le constat que j’aurais pu faire mieux certaines choses… J’ai toujours faim. Parfois, j’ai l’impression d’être un ogre dans le travail, si je regarde le nombre de livres et d’expos que j’ai faits cette année par exemple… Parfois cela me fait peur… Je dors peu…
18/Passion ?
On sait comme je suis… Ce n’est pas la peine d’insister… J’ai horreur des artistes qui mettent leurs tripes sur la table… C’est assez drôle, quand on connaît ma personnalité, de voir que souvent les artistes que je défends sont des personnes qui prennent beaucoup de distance, alors que je suis tout l’inverse. Je crois que j’ai trouvé chez eux… Je me demande si les artistes ne m’ont pas servi de thérapie…
19/Avenir ?
Il est partout où la photographie doit se créer… C’est, par exemple, être commissaire d’exposition d’une rétrospective Isabel Muñoz à Madrid. L’avenir, c’est la fin de la bureaucratie, ne plus me taper une certaine médiocrité du quotidien dans la fonction publique, même si j’en ai été un bon petit soldat pendant plus de trente ans. L’avenir, c’est évidemment la Chine et l’ouverture du musée à Lianzhou dans un an. L’avenir, c’est aussi se battre pour des projets plus modestes comme trouver un lieu pour faire une rétrospective en Europe de Stephen Shames qui a suivi les Black Panthers dans les années 60. Enfin pour moi, l’avenir, c’est continuer à défendre une autre façon d’écrire l’histoire de la photographie.
20/Mot de la fin ?
Les temps sont durs, très très durs, et vont être encore plus durs en 2017 en France. Raison de plus pour que des gens comme moi ne baissent pas les bras et pensent qu’on a une utilité sociale et politique. Qu’on n’est pas simplement là pour décorer quelques salons. On est surtout là pour mettre directement en contact les artistes et le monde réel pour que, peut-être, ça change un tout petit peu les choses.
Propos recueillis par Sophie Bernard
Lamia Joreige, Yan Pei-Ming, Stéphane Couturier
Musée Nicéphore Niépce
Du 15 octobre 2016 au 15 janvier 2017
28 Quai des Messageries, 71100 Chalon-sur-Saône