Dans Anamnèse, Isabelle Levistre explore le monde de l’enfance avec un Holga, offrant une vision à la fois personnelle et universelle de cette période pleine de mystère. Réalisée entre 2008 et 2015, la série noir et blanc vient de paraître chez GLC Editions grâce à un crowdfunding.
Rendez-vous dans Anamnèse d’Isabelle Levistre. Dans ce monde à part, les personnages apparaissent et disparaissent. Sont-ils deux, trois ? Ou bien est-ce une seule et même personne qui n’est, comme dans le rêve familier de Paul Verlaine, “à chaque fois, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre” ?
Rien n’est sûr. Tout semble fragile et incertain, comme en suspension, dans ce royaume enchanté. La preuve, on croit avoir déjà vu celles et ceux qui le peuplent, mais si on les croisait on ne les reconnaîtrait pas. Ils sont à la fois uniques et anodins, accessibles et sibyllins, visibles et invisibles. Eux et nous.
Photo après photo, Isabelle, brouille les pistes avec ses tableaux d’enfants saisis à l’âge où vivre c’est jouer et où jouer c’est vivre. La photographe joue elle aussi à cache-cache dans cet album en noir et blanc où le temps ne court plus et où la différence entre scènes de vie et instants de jeu est ténue. Elle nous raconte des histoires, et son histoire. A la fois celle de ses jumelles et celle de chacun d’entre nous à cet interstice précis situé à l’aube de l’existence et à l’aune de la réalité. Des moments furtifs dont on pourrait croire qu’elle les dérobe à l’enfance si elle ne les restituait tout en nuances, alternant le doux et l’amer.
Naturellement vouées à l’oubli si Isabelle ne les immortalisait, ces saynètes éphémères captées à la volée connaissent donc une vie éternelle en format carré, un choix idéal pour ouvrir une fenêtre singulière sur le monde. Monde dont la photographe se place à distance. Car étrangement c’est aussi un peu elle-même qu’elle y guette, entre observation et méditation. Jeu de double, jeu de miroir : le va et vient entre le réel et la fiction est incessant et perpétuel, alimenté par quelques images en surimpression qui ponctuent subtilement la série. Un parti pris qui sème le trouble, déstabilise, voire inquiète. Parfois confuses comme le sont les souvenirs, les images d’Isabelle Levistre suggèrent plus souvent qu’elles ne montrent. Envoutantes, elles ont le pouvoir de réveiller notre mémoire individuelle et de la réanimer. Une délicate traversée dans un monde enchanteur.
Sophie Bernard
Anamnèse, Isabelle Levistre
Publié par GLC Editions
39 €