Aujourd’hui, deuxième volet de notre série Atelier et pensées avec Liza Kanaeva. Née en Russie, la jeune photographe se livre sur la préparation de son travail et détaille son goût des rencontres et son attention pour la lumière naturelle dans une œuvre largement occupée par l’art du portrait.
Liza Kanaeva est une photographe russe vivant aux États-Unis depuis huit ans. Installée en Californie, elle rejoint New York il y a quatre ans après avoir terminée ses études. Ses portraits de modèles féminins autant que sa série Teenager lui assurent aujourd’hui un franc-succès sur les réseaux sociaux alors qu’elle n’a jamais été exposée pour le moment. Pour autant, sa photographe n’a pas toujours pris l’humain pour sujet principal. À New York, dans le tourbillon des visages que l’œil enregistre, sa pratique s’est retrouvée changée. Elle est frappée par la diversité autant que par la lumière naturelle, qu’elle juge aussi « crue qu’éblouissante ». Elle compare ainsi : « En Californie, les jours sont baignés de soleil. Je cherchais déjà à montrer la lumière naturelle. Mais ici, la lumière paraît romantique ou bien simplement franche ». Ses portraits baignent quasiment tous dans cette atmosphère, l’installation du studio étant « plutôt simple, sans artifice, sans flash ».
« Tout ou presque se joue au moment de rencontrer la fille, en discutant avec elle, c’est là que la photo se passe ». Liza Kanaeva cherche à révéler l’histoire… N’allez pourtant pas penser qu’elle se trouverait prête à être cueillie, cette histoire, saisie facilement sur un film développé comme sur l’écran d’un moniteur. Il faut préparer le terrain, cajoler l’histoire, la voir venir, avoir la main verte, la caresser et finalement être prêt à la saisir. Alors le fruit murit et l’œuvre sort d’une rencontre ordinaire, préalables obligatoire de l’artiste avec son modèle. Autour d’un café, dans l’intimité, tout se passe là. Bien avant que la photographie ne prenne forme, au café, il se noue « une connexion entre deux êtres. Quelque fois, le modèle vous montre véritablement sa personnalité », ajoute-t-elle.
Supposons alors que le portrait nécessite une intimité, cette connaissance de l’être photographié. L’hypothèse n’est pas toujours vérifiée. Le projet Teenager de Liza Kanaeva se base sur une toute autre approche : une rencontre dans la rue avec un adolescent, à la sortie d’une école, un portrait, un brin de caractère saisi, et l’on passe à autre chose. Plus qu’une ouverture vers l’autre, Liza Kanaeva conçoit ce projet à long terme comme une typologie « représentative de la culture contemporaine. Les adolescents sont comme des livres ouverts, ils absorbent et renvoient tous les aspects de notre société. Je voudrais seulement documenter cet âge. Certains sont extrêmement ouverts, d’autres simplement ordinaires ». Et l’on comprend qu’il se passe en eux des bouleversements difficiles à révéler par les mots que l’image rend apparents.
Lorsqu’elle les aborde au détour d’une rue, « tous crient, s’appellent par leurs noms, rigolent, et puis l’un d’eux dit oui et tous se taisent ». Ces adolescents ne craignent pourtant pas le regard des autres. La photographe nous le confirme, devant l’objectif, les collégiens ou lycéens sont intrigués et amusés.
Signe que la connaissance du modèle n’est pas toujours nécessaire, sa préparation et sa pratique de la photographie change selon le projet. Dans le studio, la photographe utilise le numérique. Dans la rue, elle travaille avec des films et apprécie de ne pas voir le résultat avant quelques jours. « On échange nos Instagrams, on parle quelques minutes, ça s’arrête là. Parfois, une semaine après, certains me demandent leurs portraits et je leur envoie. À l’inverse, au studio, la photographie apparaît sur le moniteur. Je préfère pourtant que mes sujets ne voient pas le résultat, cela pourrait changer leur pose, leur expression. Il faut que le modèle s’ouvre, se relaxe, ainsi on peut commencer à travailler ». Placer le sujet dans l’intimité du regard, au milieu d’un boulevard ou dans l’entrechat d’un rayon, voilà peut-être la solution…
Dans la série documentaire Contacts (éditions Arte), le spectateur est à même de comprendre comment les grands maîtres de la photographie choisissent un cliché dans un ensemble. Certains scrutent avec attention les détails, d’autres savent d’emblée quelle photographie choisir. Liza Kanaeva est de cette trempe. Elle reste évasive, sinon mystérieuse et assure choisir à l’émotion : « J’ai lu récemment une interview de Nan Goldin. Elle disait reconnaître une bonne photographie à l’excitation, à la chair de poule que l’on ressent. D’un seul coup, on s’écrie : celle-ci, c’est la bonne ! ».
À l’entendre, on penserait que l’art du portrait est une affaire de surprise. Si cela est entendu, la photographie sinon l’art est une affaire de minutie. Sans tomber dans la grande leçon, appréhender la méthode d’un artiste donne à voir les contours et la profondeur de l’œuvre. Si l’attention première de Liza Kanaeva pour la lumière révèle d’un coup de scalpel la finesse inhabituelle de ses modèles, l’intimité de sa photographie bourgeonne dans ses rencontres fortuites ou préparées. Alors vient la volonté de saisir un détail. Une histoire se déroule, il faut la saisir, « savoir la révéler », en tirer son sel. « Il y a tant à révéler derrière chaque ligne, chaque courbe, dans la boucle même d’un seul cheveu. Il faut véritablement vouloir raconter l’histoire », conclut-elle.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à New York, aux Etats-Unis.