Dimanche après-midi, sous la verrière majestueuse du Grand Palais noyée d’un soleil encore hivernal, l’ambiance était fraîche. Si tous les galeristes se plaignaient d’une température qui avait amené quelques radiateurs électriques sur des stands, tous déploraient une fréquentation pour le moins modeste, à l’exception de la journée et de la soirée d’inauguration. Et les plus mécontents pointaient le choix des dates et un week-end pascal qui aurait éloigné de Paris une clientèle potentielle qu’ils avaient, jeudi et vendredi, attendue en vain.
Côté affaires, même si une même fraîcheur semblait dominante, on avait un fort sentiment de contraste. Alors que le bruit courrait que la galerie Claude Bernard avait tout vendu, d’autres qu’il n’est pas indispensable de citer, avouaient n’avoir strictement rien vendu. La chose est valable, comme on va le voir, pour ceux, finalement nombreux, qui présentaient de la photographie.
Art Paris, aujourd’hui rebaptisée Art Paris Art Fair, revient de loin, de très bas, en fait. Ce salon qui devint aux pires moments la caricature insupportable des refusés de la FIAC remonte clairement et, sans avoir encore parfaitement trouvé sa voie ni affirmé son niveau au plus haut, elle est désormais à considérer. Elle a même des attraits que n’ont pas, ou que n’ont plus, certaines grosses machines qui n’apportent guère de surprises et ne proposent qu’exceptionnellement de la découverte. La foire a l’avantage d’être variée, d’être ouverte sur l’étranger, d’avoir su cette année présenter aussi bien Farideh Cadot si réticente aux foires que des galeries venues de fort loin avec des artistes inconnus ou rarement vus. Si tout n’est pas excellent, on trouve pourtant, en fouinant, un dessin exceptionnel au détour d’une cimaise, un petit vintage de David Seymour, à Rome, en 1950 caché derrière une cloison chez Clair Galerie, quelques magnifiques Penone, dont un sur photographie, chez Guiseppe Pero, un ensemble fort d’artistes africains chez Magnin, de beaux Hantai chez Jean Fournier et un vert impeccable chez Kalman Maklary Fine Arts. De beaux Morelet aussi, des supports surface de grande qualité, des Bernard Buffet dont un très beau tableau de la première période et une réapparition opportuniste – à cause du palais de Tokyo et du Centre Pompidou qui les montrent Julio le Parc et Soto – de l’art cinétique. Etrangement, le sentiment qui se dégage est qu’il y a peu de stands très forts. Bien que le clinquant insupportable de certains stands grotesques de l’an passé ait presque entièrement disparu, c’est à une espèce de recherche d’œufs de Pâques qui auraient été éparpillés au Grand Palais que nous invite cette édition 2013. Ce n’est pas un jeu désagréable, mais cela ne dessine guère de lignes fortes.
D’autant que la Russie, pays invité et célébré, ne brille pas particulièrement, en tout cas dans le carré qui lui est réservé au côté d’une section design en réel progrès, ce qui n’est pas si difficile tant elle était indigente jusqu’ici. On retrouve évidemment avec plaisir Pavel Peperstein – dont on regrette de ne pas voir davantage de dessins aux crayons de couleur qui avaient tellement impressionné à la Biennale de Venise – mais il s’avère que le fait de venir de Rostov-sur-le-Don ou de Vladivostok n’est pas un critère suffisant pour assurer de la qualité. L’exotisme n’est guère payant…
Du côté de la photographie, il y a, là aussi, beaucoup de choses et de tout. Et il faut essayer de picorer. Ce qui peut procurer, selon l’humeur du moment et le degré de congélation, de l’exaspération, du plaisir, de la déception ou de l’excitation. Un bel Arnulf Rainer, de petit format ici, la surprise de retrouver en tout petit deux « portraits d’arbres » du Coréen Myoungho Lee qui ont demandé une débauche d’installation du fond en tissus avec grues et armée d’assistants – 313 Art Project de Séoul -, un Lucien Hervé magnifique à la Galerie Vieille du Temple, Daido Moriyama plus loin, un Jorge Molder très fort en accroche de la galerie Farideh Cadot, un cygne noir magnifique épinglé de façon sensuelle par Manfred Willmann chez Priska Pasquer, au final, pas mal de petits moments qui arrêtent le regard sans jamais construire un parcours.
Du côté des galeries exclusivement centrées sur la photographie et même si l’accrochage est d’une densité un peu indigeste, VU’ la galerie présente un ensemble rare de beaux tirages Fresson, anciens, de Bernard Faucon qui ont attiré l’attention et les acheteurs, ils voisinent avec des petits formats, toujours aussi poétiques, des inclusions sous résine de José Ramon Bas qui, avec leurs petits prix, ont déclenché des ventes en cascade, y compris chez certains exposants, des tirages subtils de Richard Dumas qui confirme toujours son élégance dans le portrait mais Alain Bizos, qui présente un ensemble allant des premiers « vols » avec certificat de recel et des photocopies couleur uniques des années soixante-dix aux grandes images couleur de reportage n’avait pas trouvé preneur. Etonnant lorsque l’on voit le grand tirage cibachrome de sa Nina Hagen qui avait fait la couverture d’Actuel et qui devient impossible à retirer avec cette qualité. Presque en face aux Filles du Calvaire, le moral était en berne avec un seul Antoine d’Agata vendu, et aucun des délicats tirages de paysages de Thibaut Cuisset. Sombre foire… Le contraire de La Galerie Particulière, dans l’allée suivante où, entre autres, les paysages mystérieux et les visions de nuit de Todd Hido partaient par dizaines. Le record des points rouges, genre mitraillette, étant pourtant enlevé haut la main par Denis Rouvre à la Galerie Hélène Bailly étaient sur le point d’épuiser leur tirage sur la foire pour certains de ses « Sumo » récemment primés au World Press et où ses portraits de japonais victimes du tsunami dont l’exposition vient de se terminer à la Pinacothèque de Paris avaient rencontré plusieurs collectionneurs.
Dans cette foire qui annonce comme pays invité la Chine pour l’an prochain, il y avait cependant deux découvertes à faire. Une galerie, tout d’abord, venue de Moscou et qui présentait, dans un ensemble de belle tenue, outre les images fortes aux couleurs impeccables de Rena Effendi, le travail aux espaces de neige de Alexander Gronski, finement structurés de détails de couleur et de lignes justes et les beaux petits carrés en noir et blanc, sensuels, justes, assumant la frontalité avec précision de Nikolay Bakharev. Les responsables de la Gallery Grindberg avaient décidé de les présenter en un prand mural d’accumulation, ce qui ne les servait pas forcément.
Au fond du stand de The Empty Quater Gallery, venue de Dubai, on ne pouvait échapper à l’alignement des quatre portraits verticaux de jeunes filles en noir et blanc, yeux alternativement ouverts ou fermés par le jeune artiste d’Oman Al-Moutasim Al-Maskeri : elles portaient le vêtement traditionnel des hommes. Un questionnement, surprenant, ferme, délicat, mené à bien sans effet mais avec rigueur des questionnements d’identité et de la place de la femme et une découverte, à tous le ssens du terme. J’ai l’impression que, avec le dessin en ombre de Joel Cuin chez Farideh Cadot que je ne pourrais plus jamais oublier, ce fut mon bonheur de ArtParis 2013. Ce n’est déjà pas si mal.
Christian Caujolle