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Artistics : Brad Wilson – Images d’un règne

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Depuis 2010, le photographe américain Brad Wilson développe la série Affinity (affinité, mais aussi ressemblance), un projet dont le nom esquisse le programme. Avec son studio mobile, le photographe parcourt zoos et sanctuaires pour photographier les animaux sauvages qui y vivent.

Toujours à la quête de ce qu’il nomme son Graal : capter le regard direct de son modèle pour susciter ce face à face troublant qui nous pousse à questionner la distance qui nous sépare. Pour L’œil de la Photographie, Brad Wilson a accepté de répondre à quelques questions.

  

Le portrait semble avoir toujours été votre genre de prédilection. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la photographie de portrait et qu’est ce qui entretient votre intérêt ?

Mes modèles (humains et animaux) sont complexes et mystérieux. Révéler quelque chose de significatif et de pertinent à leur sujet est donc un défi – à la fois unique et intéressant – qui se renouvelle à chaque séance. Pour moi, il s’agit d’un voyage artistique qui illumine non seulement ce qui se trouve devant l’appareil photo, mais aussi ce qui se trouve derrière. Plus j’en apprends sur mes sujets, plus j’en apprends sur moi-même.

Qu’y a-t-il de plus difficile et de plus gratifiant à photographier des animaux plutôt que des êtres humains ?

La plupart des animaux que je photographie sont des animaux sauvages. Bien que, dans une certaine mesure, ils aient été habitués à l’homme, ils ne sont pas domestiqués ou dressés comme le serait un chien. Je ne peux pas communiquer avec eux ou les diriger comme je le ferais avec un sujet humain, et je dois donc attendre patiemment qu’ils se calment pour obtenir un moment inhabituel, une fenêtre brève mais authentique sur leur monde. Même lors des meilleures prises de vue, cette fenêtre n’est ouverte que pendant quelques secondes au maximum. C’est là le défi et la récompense.

Vos photographies d’animaux empruntent les codes de la photographie de portrait plutôt que ceux de la photographie animalière. Quelle est votre intention en remplaçant les humains par des animaux ?

Une fois que l’art s’est aventuré au-delà de l’iconographie religieuse et des commandes passées par l’Église, les portraits ont commencé à représenter une variété d’individus de toutes les origines sociales. On a pu voir des travailleurs dans un champ ou des chasseurs à cheval, par exemple, mais seuls les riches mécènes ou aristocrates étaient représentés sans contexte. Ils étaient considérés comme suffisamment spéciaux ou uniques pour être représentés seuls. J’ai appliqué cette convention historique à mes portraits d’animaux afin de remettre en question notre notion collective de l’« exceptionnalisme » humain, et aider à définir un nouveau paradigme qui reconnaît la conscience significative et la vie émotionnelle profonde des autres créatures.

Vos photographies soulèvent de nombreuses questions sur les circonstances dans lesquelles elles ont été prises : comment avez-vous eu accès aux animaux ? Quelle est la distance qui vous sépare d’eux ? Quel matériel utilisez-vous ? Qui vous accompagne lors de ces séances ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Lorsque je me suis lancé dans ce projet, le plus difficile a été d’obtenir un accès. Les sanctuaires animaliers ou les zoos ne veulent pas laisser entrer n’importe quel photographe pour travailler avec les animaux dont ils s’occupent et qu’ils protègent. Au début, j’ai dû dépenser des sommes importantes (sous forme de dons) pour réaliser mes séances photo. J’ai rapidement réalisé quelques beaux portraits que je pouvais montrer à mes contacts comme exemple de ce que j’essayais d’accomplir. Ensuite, l’accès a été beaucoup plus facile, mais toujours aussi coûteux.

En général, j’installe un studio photo complet sur le lieu de vie des animaux ou à proximité. J’utilise une variété d’éclairages commerciaux et d’appareils photo numériques haute résolution de moyen format pour capturer la meilleure qualité d’image possible. Et, bien sûr, un très grand fond en tissu noir. Pour chaque prise de vue, il y a un certain nombre de soigneurs animaliers (entre 2 et 5) et mes assistants photographes. En général, je suis très proche de chaque animal, généralement à un mètre. Cette proximité procure un sentiment de connexion et d’intimité que j’essaie de saisir dans l’image finale.

Votre travail soulève également la question du bien-être des animaux. Comment faites-vous pour que les séances ne soient pas trop stressantes pour les animaux ?

Chaque séance photo se déroule au rythme de l’animal avec lequel je travaille. Rien n’est forcé. Lorsque l’animal en a assez, la prise de vue est terminée, que ce soit au bout de 5 minutes ou de 3 heures. Les employés du sanctuaire ou du zoo, bien formés, connaissent leurs animaux et sont bien placés pour juger de la situation ; je leur fais donc confiance pour déterminer quand il est temps d’arrêter. Bien entendu, les animaux peuvent également vous le faire savoir de manière très directe. Si un lion ou un tigre s’allonge pour faire une sieste, la journée est terminée.

Vous avez dit : « Je décrirais chaque séance comme une sorte de méditation au milieu d’un chaos organisé ». Qu’entendez-vous par là ?

Je suis généralement entouré de plusieurs soigneurs et assistants, tous concentrés sur les animaux, et non sur moi. Les animaux ne sont ni en cage ni attachés, ils sont donc libres d’explorer et il leur arrive souvent de s’éloigner, de renverser du matériel ou de s’approcher de l’appareil photo. Une activité plutôt chaotique se déroule autour de moi et je dois l’ignorer, me détendre et me concentrer sur une seule chose : trouver ma photo. Je mets de côté les émotions fortes que créent la proximité de ces magnifiques créatures et je me sens comme dans un état méditatif.

Y a-t-il une photo idéale que vous avez en tête au début de chaque séance et vers laquelle vous essayez de guider l’animal ?

En tant qu’êtres humains, nous nous connectons aux autres et au monde qui nous entoure par la vue (plus que par n’importe quel autre sens). Le contact visuel direct avec une autre personne ou un animal nous procure un fort sentiment de connexion. C’est pourquoi j’essaie de faire en sorte que chacun de mes sujets regarde droit dans l’appareil photo. C’est une tâche extrêmement difficile, car les animaux perçoivent souvent le contact visuel direct comme un défi ou une menace, de sorte qu’ils n’adoptent ce comportement que dans des circonstances spécifiques. Il est difficile de « guider » les animaux avec lesquels je travaille, mais si j’ai de la chance, je peux obtenir une ou deux images au cours de la séance photo.

En regardant vos photographies, il est clair que la fascination de l’homme pour les animaux est aussi vivante aujourd’hui qu’à l’époque où les hommes du Paléolithique dessinaient des animaux sur les murs des grottes. Pourquoi pensez-vous qu’il en est ainsi ?

C’est amusant que vous mentionniez l’art pariétal. Ma nouvelle série de photographies, qui s’intitule Artifacts et qui sera bientôt publiée, fait référence à ces murs, à nos premiers ancêtres homo sapiens et aux premières œuvres d’art qu’ils ont créées. Nous avons évolué aux côtés de toutes les autres espèces animales pendant des millions d’années et, jusqu’à il y a environ 12 000 ans (lorsque nous avons commencé à pratiquer l’agriculture et à nous sédentariser), nous vivions exactement comme elles, dans les mêmes environnements naturels. Notre histoire est une histoire commune. Cela nous lie à la faune sauvage d’une manière profonde, qui relève à la fois de la mémoire génétique et de la parenté.

Dans la préface qu’il a rédigée pour votre livre, Dan Flores souligne que notre réaction aux animaux est à la fois instinctive et culturelle. Ce projet a-t-il changé votre regard sur les animaux ?

Il est certain que je vois les animaux différemment depuis que j’interagis avec eux d’une manière aussi proche et directe. Il y a une intelligence et une présence profondes qui ont résonné en moi à un niveau primitif et émotionnel – quelque chose qui élève chaque créature à une sorte de statut « égal mais différent ». Cet aspect est beaucoup moins apparent et puissant lorsqu’on observe la faune à distance pendant de très brèves périodes, ce qui est malheureusement le cas de la plupart des gens. Au lieu de les connaître ou de les comprendre réellement, nous créons nos propres mythologies culturelles autour de leur existence et les traitons en conséquence.

Pensez-vous que vos photographies peuvent changer la façon dont les gens les regardent ? Quelles réflexions espérez-vous susciter à travers votre travail ?

J’espère que mes photographies pourront, d’une manière ou d’une autre, changer le regard des gens sur les animaux. En créant cette série d’œuvres, j’ai découvert un monde que nous, humains, avons largement abandonné – un lieu d’instinct, d’intuition et de conscience du moment présent – un monde entièrement naturel, distinct du paysage de plus en plus urbanisé et numérisé qui nous entoure. Au milieu de notre civilisation humaine moderne, avec toutes ses complexités technologiques, les animaux restent les symboles d’une vie plus simple et d’une nature sauvage perdue. Peut-être ces images peuvent-elles constituer un témoignage de cet autre monde en déclin et nous rappeler, malgré le sentiment d’isolement prononcé qui caractérise trop souvent notre existence contemporaine, que nous ne sommes pas seuls, que nous ne sommes pas séparés – nous faisons partie d’une diversité de vie magnifiquement riche et interconnectée.

Plus d’informations :

Biographie, interview-vidéo et portfolio de Brad Wilson sur le site de la galerie Artistics :

https://artistics.com/fr/artiste/brad-wilson

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