Le rôle de la photographie, selon Giorgio Armani
Couleurs, surréalisme, une touche de noir. Les espaces d’exposition des Armani / Silos à Milan, accueillent les images du photographe français Guy Bourdin (Paris 1928-1991). Une centaine de photographies ont été sélectionnées par Giorgio Armani et la Succession Guy Bourdin, aussi bien des clichés iconiques que des images moins connues (comme ses vingt et une photographies en noir et blanc assez fascinantes).
Une centaine comme celles rassemblées dans le premier livre qui lui est consacré (Pièce A. Guy Bourdin) publié en 2003, grâce à son fils Samuel, qui a réussi à récupérer ses œuvres éparpillées dans le monde entier. Bien que Bourdin ait travaillé pour les plus grandes maisons de couture et magazines du monde, il n’a pas archivé son travail. Il a fait ses débuts dans Vogue Paris en 1955 et a continué de publier son travail – caractérisé par une impressionnante liberté de création – jusqu’à la fin des années 80.
Bourdin voulait que le spectateur soit intrigué par les images et les questionne. Et il a réussi, condensant des romans entiers, qu’il s’agisse d’un crime ou d’un noir, en un seul plan. Comme le parfait conteur, selon l’intuition de Giorgio Armani, qui le décrit comme tel.
Giorgio Armani, photographie et créativité
Les espaces Armani / Silos ont été définis pour mettre en valeur, cette fois, la spécificité du travail de Guy Bourdin, mais ils sont aussi un lieu dédié, inscrit dans un vaste projet culturel, qui peut offrir une opportunité constante de dialoguer avec la créativité, y compris la photographie, qui est calqué sur chaque événement.
En effet, comme l’explique Giorgio Armani à L’Oeil :
“Je jouais depuis un certain temps avec l’idée d’un lieu qui, en plus d’accueillir ma collection permanente, serait aussi un cadeau pour ma ville, Milan. Un conteneur d’idées et de projets qui donne de l’espace à des œuvres inspirantes et stimulantes et un centre d’exposition animé pour célébrer la créativité et promouvoir non seulement la mode mais aussi la photographie et le design, avec un accent particulier sur la jeune génération d’artistes.
Je voulais surtout laisser la place à la photographie, un langage expressif que j’ai toujours aimé. Je pense que c’est une forme d’art complexe parce qu’elle peut agir comme un document, une mémoire ou un récit qui nous rapproche de mondes que nous ne connaissons pas. En tant qu’homme et créateur qui travaille avec l’image, je suis fasciné par ce côté-là. La réalité, et donc la photographie qui capture ce qu’elle signifie, est dans l’œil du spectateur. C’est l’émotion que la photographie suscite en moi à chaque fois, quel que soit le sujet : la relation personnelle qui se crée avec l’artiste et son point de vue. La photographie donne forme à la réalité, qu’il s’agisse de photos de mode, de portraits, de paysages ou d’actualités.
Cette exposition est une nouvelle confirmation de mon intention de faire d’Armani/Silos un centre de la culture photographique contemporaine, embrassant tout ce qui touche au monde Armani ainsi que des choses qui ne pourraient pas en être plus éloignées. A première vue, Guy Bourdin n’est pas un artiste avec qui j’ai beaucoup de points communs : son langage est tranché, graphique et percutant. Un sens de la provocation est immédiatement perceptible dans son travail mais ce qui me frappe le plus – et ce sur quoi je voulais me concentrer – c’est plutôt sa liberté de création, son talent narratif et son grand amour du cinéma. Bourdin n’a pas suivi la foule et il n’a pas fait de compromis, et je m’identifie à cela. Je ne crois pas qu’il y ait un autre moyen de marquer l’imaginaire collectif “.
Les récits de Guy Bourdin
Bourdin aimait le cinéma. Ainsi, une section de l’exposition présente une sélection d’images de campagnes publicitaires représentant ce qui semble être des scènes de crime ou des poursuites policières, faisant allusion à sa fascination pour le cinéaste Alfred Hitchcock.
D’une sophistication intrigante, les images de Bourdin nous submergent par leurs récits et nous éblouissent par leurs couleurs éclatantes, dépassant la provocation qui a toujours été associée à son travail. Il a toujours travaillé avec des métaphores, explorant des réalités contradictoires et combinant tous ces éléments pour créer une photographie hautement expérimentale.
Il mettait souvent en scène des drames insolites qui semblaient dépeindre des situations quotidiennes, tout en sollicitant notre subconscient et notre imagination.
Au cœur de ses prises de vue, Bourdin a placé des récits fascinants, des effets dramatiques, des couleurs hyperréalistes, une rigueur formelle et des compositions cadrées, comme des cadres de film, où mystère, provocation et violence s’entremêlent, à la manière d’un scénario de thriller, avec quelques énigmatiques indices à déchiffrer.
Une touche de surréalisme
Guy Bourdin, qui a commencé sa carrière comme peintre et est devenu photographe autodidacte dans les années 1950, a été presque immédiatement imprégné de références surréalistes du fait de sa longue amitié avec Man Ray.
Il a grandi à une époque d’intense anxiété culturelle, provoquée par les perturbations de la guerre (d’ailleurs, il a reçu sa formation photographique en travaillant comme photographe aérien alors qu’il servait dans l’armée de l’air).
Dans les années 70, ses images deviennent par exemple synonymes des campagnes publicitaires de Charles Jourdan. Elles étaient révolutionnaires en quelque sorte : explorant les mondes entre l’absurde et l’esthétique surréaliste, il a démontré l’importance de valoriser l’image au delà du produit, grâce à sa capacité à éclairer la curiosité des spectateurs. Avec ironie, élégance et irrévérence, il met en scène ses images comme une mise en scène surréaliste, atteignant une qualité mystérieuse intrigante.
Paola Sammartano
Guy Bourdin: Storyteller
24 février au 31 août 2023
Armani / Silos
Via Bergognone 40
20144 Milan, Italie
www.armanisilos.com