Ma première rencontre avec Jean-Claude Gautrand, remonte à hier en 1967. J’avais eu l’honneur d’être invité à exposer, par le Grand Cercle, quelques-unes de mes premières photographies de création, avenue Franklin Delano Roosevelt à Paris-Champs Élysées. Très actif aux « 30 × 40 » (grand photo club baptisé du nom des tirages d’exposition imposés à l’époque), Jean-Claude était présent au vernissage, du grand club concurrent de cette période. Ce qui m’avait marqué, malgré notre différence d’âge, c’était notre partage, dans ce premier échange inopiné, d’une vision un peu stricte de la photographie qui était loin d’être montée en épingle comme actuellement. Pour nous deux, — l’essentiel —, c’était l’image, tout se devait d’être dans l’image, sans demi-mesure, mais sans fioritures. C’était le prix à payer pour permettre au lecteur de rentrer, de s’installer, de vagabonder dans l’espace généré par une photographie. Notre première communauté de vues autour de cette conviction reste incontestablement encore inscrite dans mon ADN tant pour mes analyses que lors de mes commissariats. Elle n’a jamais quitté Jean-Claude dans les mêmes circonstances.
La pureté de la réalisation devenait indispensable pour le respect de la lumière, notre complice, et pour celui des lecteurs, nos hôtes. Tout le reste n’était que des accessoires multiples et variés, souvent trop encombrants pour le message ou l’émotion.
J’ai dû m’éloigner assez rapidement de la photographie sans avoir eu le temps de tomber dans le camp des anciens (Le Grand Cercle) ou dans celui des modernes (Les 30 × 40). Après, dans les années 1970, nous ne nous sommes plus rencontrés (j’étais ailleurs).
Quelques décennies plus tard, lors de mon retour à la création, Jean-Claude avait fait son chemin, et quel chemin, ou plutôt il avait labouré son champ photographique en tous sens. Il n’y a pas un petit espace (images ou organisations) consacré à la photographie dans lequel il n’a pas pointé le bout de son nez. Partout à la fois pour soutenir, valoriser, aider tout ce qui tournait autour des œuvres, toujours l’essentiel : les œuvres. Cet homme était omniprésent sans jamais s’afficher, pour lui, sur le devant de la scène. Son efficacité de l’ombre s’est avérée, pour tous, bien plus efficiente pour la photographie que certaines satisfactions personnelles sous les projecteurs.
Pourtant, quel extraordinaire photographe, sincèrement, l’un des tout meilleurs de sa génération, avec des travaux reconnus par ses pairs et admirés par les générations suivantes. Si l’on parlait de photographes glorieux, une douzaine des grands noms, de cette époque, animait les débats. Si l’on parlait images, les références étaient signées Jean-Claude. Chacun sait que j’évoque très rarement la femme ou l’homme auteur des images que j’essaie de faire partager. Mais pour cette exposition à la hauteur de son talent, il m’était impossible de faire l’impasse. J’imagine le plaisir intense qu’il partagerait, avec nous, de voir toutes ces très belles séries de ses œuvres proposées à la portée de tous.
L’exposition présente plus de 350 images qui ont été extraites de ses nombreuses collections. Les séries de Jean-Claude sont de véritables constructions spatiales, il ne s’agit pas de rassembler une ou deux douzaines d’images — sans queue ni tête —, et de mettre un chapeau dessus avec une étiquette. Nous sommes dans un assemblage complexe et cohérent, traversé par « un fil rouge », qui se doit d’amplifier et de documenter l’espace de chacune de ses photographies dans cette collection. La construction intellectuelle se doit d’être suffisamment subtile pour ne pas rebuter les lecteurs ; mais, assez pertinente pour l’embarquer jusqu’au bout du voyage proposé. Ce sont plusieurs dizaines de séries qui nous emmènent dans des ailleurs sympathiques ou terrifiants, ludiques ou historiques, qui nous interpellent lorsqu’elles ne nous font pas rêver.
Jean-Claude a touché à tous les sujets, dans les spécialités de la photographie, sans jamais sacrifier la qualité de l’image, cette forme de perfectionnisme indispensable pour la pureté du message, pour la naissance d’un ressenti. Son image photographique aboutie comprend une multitude de paramètres maitrisés à la perfection, même dans les situations incongrues ou dans des instants de précipitation. En sus, cette maitrise instinctive se doit d’être couronnée par le geste instantané de la pression sur l’obturateur. Après tout cela, il reste encore 90 % de transpiration (travail, plus risques), pour que la photographie soit aussi bonne que dans la chanson.
Chaque image est un espace complet par sa cohérence globale pour des énumérations exhaustives. Tous les détails sont présents, même dans les blancs et les noirs, que les prises de vues soient en contrejours, descriptives ou d’ambiances. Toutes les compositions conduisent l’œil au point d’orgue tout en l’obligeant à glaner les informations essentielles dans sa course. Les nettetés sont ajustées pour une mise valeur importante de tous les flous, tout aussi bavards. Dans chacune des photographies, tout est réglé comme du papier à musique, la construction est solide, voire inébranlable, pour supporter une multitude de détails techniques et scénographiques interdépendants. La magie d’une œuvre de Jean-Claude se trouve dans cette harmonie où tout est présent, comme il faut et où il faut, sans jamais imposer une petite touche de trop, surajoutée et parasite. Toujours revenir à l’essentiel dans le respect de l’image.
Chaque image est un chapitre, chaque collection est un roman. Ces romans-là, composés des œuvres de Jean-Claude, vous attendent au Musée Réattu qui est devenu dépositaire d’une grande partie de son travail. Tous ces chefs-d’œuvre sont visibles pendant toute la durée des Rencontres Internationales de la Photographie, à Arles. A mon avis, cette présentation du travail créatif et professionnel de Jean-Claude Gautrand est la manifestation arlésienne 2024, à contempler en priorité.
Malgré ses budgets extrêmement modestes, au regard des flux financiers importants qui sont devenus la priorité de cette manifestation phare, Le Musée Réattu a fait des efforts importants. Pour 2024, ce sont deux expositions, exemplaires de qualité et de justesse dans leur contenu, autour de l’image photographique.
Il vous est vraiment impossible de passer par Arles sans découvrir les deux perles photographiques installées pour tout l’été, dans l’enceinte de Réattu.
Thierry Maindrault
EXPOSITION
Musée Réattu • Musée des beaux-arts
Ancien Grand Prieuré de l’Ordre de Malte
10 rue du Grand Prieuré
13200 ARLES
du 29 juin au 06 octobre 2024
de 10h00 à 18h00
fermé les lundis
CATALOGUE
Libre Expressions • Jean-Claude Gautrand
co-éditeurs : musée Réattu / éditions Illustria
photographe : Jean-Claude Gautran
première édition
format 22 cm x 28 cm
312 pages
450 illustrations
reliure à la française
ISBN 978 8 836656 46 2
prix 35 euros