Cette édition 2024, des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, nous était annoncée comme fabuleuses et extraordinaires par certains. D’autres, nous prédisaient des Rencontres moribondes qui devaient — impudiquement — délivrer leurs derniers râles. Un faisceau de conjonctures, plus ou moins prévisibles, est venu perturber les prévisions de fréquentation. Grosse fréquentation mercredi et jeudi, les autres jours un éclaircissement inhabituel (place du Forum à midi le vendredi, environ une table sur deux était vide). Le choc de l’actualité.
Il est vrai que coté ambiance, le passé est le passé et les nostalgiques doivent se rhabiller. Les rigolades entre copains désintéressés ont totalement disparu, même au Tambourin ou au Nord Pinus pour les plus fortunés. Il y a deux raisons incontournables, nombre des copains ont déserté — malgré eux —, le bateau pour d’autres cieux de lumière, d’une part. D’autre part, les confrères photographes, même sur place, sont devenus virtuels et les amitiés se transmettent par ce fameux smartphone qui s’est substitué au pastis ! Pareil pour les nocturnes au coin d’un projecteur qui sont remplacées par des attroupements denses autour de DJ déchainés. Nos sociétés évoluent, les relations évoluent au gré des technologies rentables. Les photographies qui étaient un vecteur fort deviennent un prétexte faible.
Ce millésime détrompe, vraiment, nos pessimistes et nos optimistes outranciers. Quelques très bonnes surprises et quelques déboires dans mes déambulations.
En préalable, et de l’avis général, des photographes rencontrés grands ou talentueux, la qualité des images offertes au public, toutes expositions confondues, s’est beaucoup améliorée par rapport aux années précédentes. Il était temps et c’est tant mieux. Paradoxalement, c’est toujours dans le « In » qu’il y a le plus de bavures.
A tout seigneur tous honneurs, le « In » et surtout les expositions associées dans Arles, nous ont offert quelques très belles et très bonnes photographies. Les musées publics de l’Arlaten et de Réattu ont été, dans leur choix et leur réalisation, à la hauteur de ce que nous sommes en droit d’attendre d’une telle manifestation de réputation mondiale. Les Rencontres à l’Espace Van Gogh et à l’Archevêché (les japonaises) se sont montrées à la hauteur. Pour le reste, beaucoup d’interrogations et notamment de contestations tant pour les choix photographiques que pour les scénographies. Personnellement, pour ce que j’ai vu, je rejoins les nombreux témoignages entendus.
Coté présentation, tous circuits et exposants confondus, les images sont prisonnières d’un carcan protecteur en verre. Cette protection est devenue indispensable au regard du nombre d’illuminés du cervelet qui tentent d’asperger une célébrité artistique pour affirmer leur égocentrisme de « losers ». Catastrophiques, les moyens financiers étant limités, les verres à vitres utilisés transforment des photographies magistrales en psyché pour se remettre un petit fond de rouge à lèvres. Ceci étant exposé, même un verre musée de haute valeur antireflet, filtre, a minima, 80 % de l’échange émotionnel à partager avec une œuvre.
Pour l’organisation, encore un peu de cafouillage. Logique, nous ne sommes pas au Japon (pourtant surreprésenté cette année). A l’entrée des certaines expositions, les lecteurs de codes sont un peu capricieux. En dépannage, les QR codes sont photographiés sur le smartphone de l’agent de contrôle, pour diminuer la file d’attente qui s’impatiente. Pendant quelques minutes, nous voilà revenus dans le joli foutoir créatif des improvisations. Mais cela fait du bien au sein de ces nouvelles organisations binaires suffocantes.
Et puis, les murs de la ville se garnissent d’affiches revendicatives assez dures, supportant un manifeste assez clair, avec en point de mire un important sponsor des Rencontres. Le fournisseur officiel des transports, dans des véhicules de prestiges, pendant les Rencontres, prend lentement une place importante dans le fonctionnement et les choix artistiques des Rencontres. Sa fondation
« ••• Art Makers », rien que cela, a investi une salle du Cloître, pour présenter deux immenses panneaux colorés fort lointains de la photographie et de l’expression de la lumière (peut-être que pour un mur de salle à manger !). Je me suis trouvé (heureusement très peu de temps) dans ces abîmes de « l’Art Comptant pour Rien ». A la sortie, les vieilles pierres centenaires du Cloître Saint Trophime permettent de retrouver un peu d’oxygène dans la tête. Ce mécène des « Fabricants d’Art » donne dans l’émergent … immergé.
Un groupe d’écologistes actifs s’est lancé dans la revendication émergente avec de belles affiches (voir photos). L’objet est de dénoncer à la fois le constructeur pollueur, la main mise sur la création et l’irresponsabilité civique des Rencontres qui confient un espace public et des choix créatifs discutables. Le manifeste joint à l’affiche (voir photographie) est clair. Ce qui me dérange, un peu, beaucoup, à la folie, c’est qu’une telle démarche ne soit pas l’œuvre des auteurs photographes de tous styles. Cela fait des années que les dérives s’installent dans le paysage des Rencontres, sans beaucoup d’alertes. Maintenant, ils sont tous présents, les marchands de cosmétiques, de bagages, de matériels photographiques, de logiciels potentiellement intelligents, de voitures, de champagnes, de banques, avec leurs écuries de créateurs éphémères (la mode est sans pitié). Doit-on laisser traiter, comme des mouchoirs jetables, toutes les jeunes générations qui nous montrent un appétit sincère pour le travail de la lumière ? Lors d’un échange, un grand photographe qui convenait que la photographie était le subtil dosage d’une technologie totalement maîtrisée et d’une créativité effervescente. Il ajouta que c’était aussi un esprit qui ne peut s’échapper d’une image que si son auteur en était imbibé.
Tel le phénix, au milieu des cendres encore chaudes dans nos cœurs, pour une quatrième fois, le « Off » ressuscite, ou pour le moins, il essaie. Une équipe inconnue (trois anciens étudiants de l’ENP), sous l’étiquette « La Kabine » aurait été retenue par un appel à projet de la Ville d’Arles, pour recréer un Festival Off. Le départ de ce nouveau projet qui est supporté et encouragé par la Mairie et par les Rencontres (version In) est assez étonnant. Lorsque l’on se souvient que ce sont ces deux compères qui ont procédé à un assassinat en règle du Off, modèle du genre, internationalement reconnu. Ce nouveau (Off) semble une ombre portée de la partie officielle des Rencontres. En premier, ses soutiens, dont financiers, paraissent assurés par une marque très célèbre de nourriture pour animaux domestiques. Soutenu également, par deux fabricants de matériels photographiques. Pour le reste, moins d’une centaine de panneaux numérotés dans la ville, essentiellement sur des magasins loués par des galeries ou des marchands divers. Très peu de photographes indépendants, il faut convenir qu’il n’y en a plus beaucoup. Où sont passés les plus de 200 photographes qui exposaient à Arles ?
Les photographes professionnels ou amateurs qui présentaient leurs travaux, cette année, se réduisent à deux dizaines (peu dans le Off). Les galeries, venues de partout et de nulle part, ont envahi la semaine professionnelle avec des prix de loyer astronomiques. Les indépendants ne peuvent pas suivre, ce qui laisse au minimum un tiers des espaces disponibles vides. 3 500 euros pour 15 mètres linéaires de surface exposable ce n’est pas pour toutes les bourses. Pas de sponsors ! Plus de salut ! Tout a un prix, il est enterré le temps des échanges à bâtons rompus sur les sujets extraordinaires ou la « philosophie technologique ».
Le top de cette constatation est pour le visiteur venu à Arles 2024, pour voir des photographies, pendant la semaine professionnelle, ce qui est un peu onéreux. Il a découvert une multitude de galeries (avec un panneau (Off) numéroté) fermées. Avec des papiers en vitrine qui indiquent « ouvert de 10 h à 13 h et de 17 h à 19 h », lorsque nous n’avons pas « uniquement sur rendez-vous » avec un numéro de portable. Vous êtes venus spécialement pour voir des photographies, vous vous êtes trompés d’adresse. Dans ces officines, rares sont les auteurs des œuvres accrochées aux cimaises, juste un garde derrière un ordinateur, ignare à propos de l’image photographique. J’ai eu la curiosité de prendre des nouvelles d’un ancien camarade de promotion, dont quelques photos connues étaient pendues au mur. L’aimable gardienne présente a pu m’apprendre qu’il se reposait au pays basque.
Ceux qui étaient présents à Arles, cette année, doivent se retrouver dans ce tour de piste un peu rapide pour eux. Tous les autres qui étaient volontairement, ou non, absents, peuvent se faire une petite idée pour apprécier si leur refus de venir cette année était ou non une bonne décision.
Il reste, pour beaucoup d’entre vous, jusqu’à la fin de septembre, pour admirer quelques très belles expositions, entre deux groupes de touristes (bannières au vent), vous pourrez en profiter sûrement sans regret.
Thierry Maindrault