Pris par hasard d’une soudaine envie de ranger un peu l’amoncellement hétéroclite installé par le temps dans le petit cabanon situé au fond du jardin familial, dissimulé sous quelques vieilles planches, un gant de jardinier est apparu à mes yeux : celui de mon père ! Un choc émotionnel intense. Tous les souvenirs liés à lui sont remontés à la surface comme une vague. D’autant que la texture même de ce gant, le bois qui le soutient , la lumière qui inonde la scène , rendent plus vivante encore cette rencontre qui m’apparaît comme un appel. Une manière de me dire : Arrête toi et Regarde !
La nécessité d’illustrer ce moment s’est rapidement imposée comme un impératif : observer ce lieu où mon père a si souvent œuvré. C’est donc sur les deux ou trois mètres carrés entourant son cabanon ou encore à l’intérieur un peu mystérieux de celui-ci qu’une véritable saga poétique m’est apparue. Celle d’une matière végétale vivante et mouvante dans le temps, magnifiée par une lumière naturelle qui sculpte, dissèque, exalte les éléments les plus simples et les plus ordinaires.
A l’observation, c’est tout un monde habituellement ignoré qui se révèle alors. Un monde qui raconte une histoire, Son histoire. C’est elle que conte cette série de photographies alliant l’intérêt esthétique et philosophique. Ces images allégoriques en saisissant la lente dégradation de ces végétaux constituent un véritable reportage sur la fuite du temps. « La photographie –a écrit Georges Perec – est un défi à la disparition ».
Elle joue ici parfaitement son rôle en immortalisant les étapes successives et fort diverses de leur inexorable disparition. Moisissures, éclatements, dislocation, desséchement se révèlent à l’observateur attentif d’une richesse étonnante autant qu’émouvante.
Une richesse que la photographie excelle à saisir, que ce soit en couleurs où la gamme des coloris vire allégrement de l’exubérance lumineuse à la sobriété de quelques dégradés, ou encore en noir et blanc mettant en valeur le mystère des choses par un jeu de contrastes et l’étendue de sa gamme de gris. C’est la lumière enfin qui révèle la vie des choses simples en faisant parler la réalité du monde. C’est ce que Paul Strand, dans sa propriété d’Orgeval, affirmait : vouloir photographier le monde au fond de son jardin. « Je veux faire naître de grandes émotions à partir de petites choses ».
Selon Walter Benjamin les choses ne sont pas de simples objets inanimés, des enveloppes remplies d’une matière inerte ou des objets passifs qui se tiennent à la disposition du regard documentaire.
Elles ne sont pas stables en leur état, dépassant ainsi le simple stade de l’objet inanimé. Ces images tentent d’appréhender le sujet … à moins que ce soit lui qui les appréhende. Elles déclenchent une activité cérébrale qui donne à ces objets un autre sens que celui de leur matérialité quotidienne. Ce sur quoi s’est interrogé Lamartine : « Objets inanimés avez-vous donc une âme/qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ».
La nature morte est l’occasion rêvée de creuser au plus près la matière de ces objets et de leur donner une force accrue. Ses pouvoirs incitatifs, suggestifs ou métaphoriques sont multiples. D’où une certaine personnification qui devient allégorique. Certaines de ces images sont proches des « Vanités » si nombreuses dans la peinture du XVII siècle. Elles associent le symbole du temps, de la brièveté de la vie aux objets quotidiens de l’activité humaine.
Ces arrêts sur l’image, en exaltant les matières et les formes, les contrastes entre le poids et la légèreté, entre la stridence et la mélopée constituent une simple mais poignante dramaturgie sur l’existence des choses et des êtres. Tout autant qu’elle illustre une lutte désespérée contre la disparition et l’oubli.
Jean-Claude Gautrand
Le Livre:
Jean-Claude Gautrand – Le Jardin de mon Père
Éditeur : Association Photo#graphie
Prix de vente au public (TTC) : 13,00 €
92 pages ; 19,00 x 13,00 cm ; broché
ISBN 978-2-9563898-4-2
EAN 9782956389842