La Maison de la vie associative, à Arles, expose le projet de Serge Assier qui mêle photographie et littérature.
Si Serge Assier n’avait pas été photographe, il aurait été écrivain, poète, c’est à n’en pas douter. La photographie est, pour lui, un moyen détourné d’exprimer ce qui ne peut être dit, à l’écrit, comme il le voudrait. Plus qu’un regard sur le monde, elle révèle une façon de penser. Comme l’écriture, elle se déploie dans le silence. Elle invite à découvrir ce qui se dit, à travers ce qui est montré. Dans le silence de l’image, en l’absence des mots, une histoire est racontée. À nous de l’imaginer. Car c’est bien d’écriture dont il s’agit, au-delà même de l’étymologie. L’image se substitue aux mots. L’œil du photographe, son regard, remplace la main, le geste de l’écrivain. Ainsi, pour Serge Assier, la photographie est devenue sa propre calligraphie, un moyen d’écrire par l’image, à travers les images, grâce aux images. Pour lui, la photographie est poésie.
Scènes de rue, paysages, portraits, sont autant de témoignages, de preuves de sa quête permanente de la beauté. Car il ne s’agit pas seulement de capturer le réel, il s’agit aussi d’en dire la poésie. « Ses images » – comme il se plaît à les appeler – sont autant de poèmes, véritables hommages à la beauté. Ses poèmes photographiques suffisent à le prouver. Ils traduisent aussi la volonté d’unir, dans un mariage presque forcé, photographie et poésie. C’est aussi ce qui se veut ici. Soixante-cinq portraits d’écrivains sont rassemblés pour rendre hommage à la littérature. C’est une galerie de portraits, une sorte de musée, à travers lequel Serge Assier nous invite à déambuler. C’est une invitation à découvrir son panthéon dans lequel sont regroupés amis, poètes, écrivains rencontrés, êtres chers, tous ceux qui, de près ou de loin, ont compté. Les liens d’amitié, de complicité, se lisent d’emblée. Car la photographie permet « l’Occasion, la Rencontre, le Réel, dans son expression infatigable »[1]. La rencontre, pour Serge Assier, est le moteur même de la vie, ce qui l’a orienté vers la photographie.
Dans ce lien qui unit l’écriture et la photographie, chaque image est associée à une pensée. La voix de l’écrivain se fait entendre. C’est un peu comme s’il se mettait à parler. Un mot, un geste, un regard, une expression, retiennent notre attention, et c’est une autre image de l’écrivain que nous saisissons. Dans cet échange de regards croisés, c’est surtout le regard du photographe, plus que celui de la personne photographiée, qui nous est montré. Sans cesse dans l’étonnement, l’émerveillement, il est celui qui voit les choses comme pour la première fois, « celui qui voit plus intensément que la plupart des gens », comme le précise Bill Brandt. C’est son regard que Serge Assier nous offre ici – sa propre vision, parfois proche de la prémonition. La photographie est fascination.
Il ne s’agit pas seulement de donner à voir, à représenter, il nous fait entrer dans l’intimité de ces écrivains. Il réussit à révéler ce qui est caché, instantanément, à faire éclater la vérité avec beaucoup de naturel et de spontanéité. La photographie permet ainsi de montrer ce que les mots ne peuvent exprimer : la vérité d’un visage, véritable cartographie d’une âme, la vérité d’un être. « Et qu’est-ce que la vérité d’un visage, sinon ce qu’elle laisse deviner d’une âme ? », nous rappelle Richard Millet[2]. La photographie est, en ce sens, révélation ; le photographe, un démiurge, un daïmon. Il s’agit, comme le suggère Henri Cartier-Bresson, de « mettre sur une même ligne le regard, l’esprit et le cœur », ce que Serge Assier réussit à faire à travers ces portraits.
L’esthétique du noir et blanc, le jeu des contrastes et des oppositions, permettent de révéler un être, de faire apparaître la beauté, de faire jaillir la lumière, comme une explosion dans les ténèbres. Si « l’artiste collabore avec le soleil », le photographe peint avec la lumière. Plus que révélation, la photographie est alors réverbération.
Il ne s’agit pas seulement, par le choix du noir et blanc, de rendre le monde tel qu’il est, mais de le sublimer, de lui redonner toute sa noblesse. La magie alors opère. La légèreté du blanc s’unit à la profondeur du noir. Dans ces jeux d’ombre et de lumière, il s’agit de faire ressortir la beauté, le mystère, de « dérober à la nuit un peu de lumière »[3]. Le photographe cherche à rendre la poésie du réel, la mettre en scène, la révéler. Fixer et non pas figer. Faire advenir, donner vie, parfois même ressusciter. La photographie est alors résurrection.
Dans cette quête de la beauté et de la vérité, le photographe cherche à être fidèle à ce qu’il voit, à ce qu’il ressent. « En art, comme en amour, l’instinct suffit ». La photographie est instinctive, intuitive. Il y a chez Serge Assier, cet instinct de l’instant. Il sait saisir le moment. La photographie est iconographie de l’instant. Au photographe de se tenir prêt à bondir, saisir, capturer, surprendre, prendre dans ses rets. Il est ce « prédateur dont la curiosité animale est le moteur », comme le définit Robert Doisneau. Prendre une photographie équivaut à capturer un fragment du réel, un morceau de la réalité, pour mieux se l’approprier. La photographie est aussi prédation.
On retrouve chez Serge Assier cette fougue, cette détermination. Si la patience et l’attente sont généralement des qualités attribuées au photographe – on imagine, d’ailleurs, fort bien l’errance solitaire, le vagabondage nécessaire, qui préside à « l’instant décisif » dont parle Henri Cartier-Bresson – chez Serge Assier, il n’en est rien. Aucune attente, aucune patience. Il agit avec la rapidité de l’instinct. Seule compte la fulgurance de l’instant. Pour lui, la photographie est de l’ordre de la dévoration.
Il s’agit de rendre éternel, d’immortaliser un fragment de la réalité, emporter un moment du présent, désormais passé. Il y a cette volonté de rendre intemporel le fugace, de retenir l’éphémère, l’évanescent, « de reproduire à l’infini ce qui n’a lieu qu’une fois. La photographie répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais plus se répéter existentiellement »[4]. La photographie rend compte ainsi de la brièveté de la vie.
Parce qu’elle permet la rencontre, la photographie se situe au plus près de la vie. Il s’agit bien de la mission du photographe ici : rendre hommage à la vie ou, à l’invitation du poète ami, René Char, de conserver « les infinis visages du vivant »[5], de « laisser des traces de son passage, non des preuves », car, en effet, « seules les traces font rêver »[6].
Laurence Kučera
Laurence Kučera est professeur de lettres à Montpellier, en France.
Serge Assier, Correspondances : 65 portrais d’écrivains
Du 1er juillet au 15 aout 2017
Maison de la vie associative – Galerie de l’Atrium
2 Boulevard des Lices
13200 Arles
France
[1] Roland Barthes, La chambre claire, Paris, Gallimard, 1980, coll. Cahiers du cinéma, p. 38.
[2] Richard Millet, L’art du bref, Paris, Gallimard, 2006, p. 32.
[3] Ibid., p. 81.
[4] Ibid., p. 15.
[5] René Char, Fureur et mystère, poèmes de 1945 à 1948, Paris, Gallimard, 1966, coll. Poésie, préface d’Yves Berger, p. 104.
[6] René Char, La parole en archipel, Paris, Gallimard, 1962.