Année phare pour Mathieu Pernot qui expose simultanément aux Rencontres d’Arles et à l’Hôtel des arts de Toulon.
La ville d’Arles et son festival tiennent une place particulière dans votre vie, pourquoi ?
C’est une ville fondatrice pour moi puisque j’y ai fait l’école de la photographie… et je me demande souvent ce que serait ma vie si je n’avais pas fait cette école. C’est donc là que j’ai appris la photographie et que j’ai rencontré les personnes qui comptent pour moi aujourd’hui, dont la famille Gorgan. J’y ai exposé en 1997, l’année qui a suivi ma sortie de l’école, à l’invitation de Christian Caujolle qui était alors directeur artistique du festival, puis en 2007, année où j’ai exposé Les Hurleurs à Montmajour… Vingt ans après ma première exposition aux Rencontres, je suis de nouveau ici avec la série sur les Gitans qui, depuis, s’est étoffée.
Revenons au point de départ… Comment a débuté cette série aujourd’hui intitulée Les Gorgan ?
J’ai toujours été attiré par les marges, la périphérie des choses… Lorsque j’étais étudiant à Arles, je voyais ces enfants de Gitans traîner dans centre ville et je me doutais qu’ils n’étaient pas scolarisés. J’avais repéré les caravanes près de la gare et je suis allé les voir spontanément, sans projet précis en tête au départ… Je ne connaissais pas cet univers. Très vite, j’ai fait des photos, je leur en ai données… Cela s’est poursuivi de 1995 à 2000, époque où j’ai vécu à Arles… Puis j’ai eu besoin d’arrêter… C’étais très impliquant sur un plan personnel : j’allais chez eux quand je voulais et eux pouvaient également venir chez moi à leur guise… Je me suis ensuite installé à Paris et j’ai fait d’autres choses… Si bien que dix ans ont passé.
Quand les prises de vue ont-elles repris ?
En 2013. Entre temps nous nous sommes revus sporadiquement. A ce moment-là, j’ai pensé qu’il serait intéressant de poursuivre l’histoire… mais je ne savais pas exactement comment… Beaucoup de choses s’étaient passé dans leur vie…
Dès les années 90, à vos propres photos vous associez d’autres images, ce qui est alors atypique comme démarche à ce moment-là. Comment ce travail s’est-il élaboré d’un point de vue formel ?
Progressivement, par découvertes successives. Au départ, c’est l’idée de s’inscrire dans la photographie documentaire de manière traditionnelle : noir et blanc, 6 x 6, frontalité, etc. Puis très vite, j’ai trouvé intéressant d’ajouter d’autres éléments : la cabine photomaton n’était pas loin, la question du fichage identitaire m’a toujours intéressé, ce que je trouvais approprié pour cette communauté, et l’ajout d’autres types de documents également… J’ai ainsi décidé de multiplier les points de vue et de construire un dialogue d’images.
C’est une conception atypique…
Moi photographe, ça ne veut pas dire seulement que j’appuie sur le bouton ; j’ai cherché une façon d’associer les images parce que, selon moi, la vérité peut être montrée à travers différents points de vue. Quand le grand-père m’a montré sa carte de déporté politique, j’ai trouvé le document saisissant. A ce moment-là, je me suis dit que l’archive était aussi un moyen de montrer et de raconter les choses. C’était en 1995.
En 2013, quand vous redémarrez ce travail, tout a changé. Vous êtes un photographe expérimenté, les Gorgans ont vécu leur vie, les enfants sont devenus des adultes, l’un d’entre eux est décédé, et la photographie elle-même a beaucoup évolué…
Pendant ces dix ans, il y a eu la révolution numérique, en effet… Et comme tout le monde, les Gorgans sont devenus producteurs d’images avec leur téléphone. De mon côté, je n’utilise plus le Rolleiflex ni l’argentique ; je travaille en numérique et en couleur… Il me faut intégrer le fait que je n’ai pas d’images d’eux pendant ces dix ans. Dans la continuité de ma démarche précédente, je multiplie les sources d’images. En consultant leurs archives, je constate qu’ils ont une pratique traditionnelle de la photographie de famille avec les anniversaires, etc. qui déconstruit le regard que j’avais porté sur eux auparavant (la référence au fichage)… Je prends conscience que la vérité peut être montrée de différentes manières avec mes images et les leurs…
Quelle forme prend le travail ?
Le livre est construit comme un album de famille, articulé par personnage, avec un chapitre consacré à chaque membre de la famille… soit dix au total. A chaque fois se mêlent des images d’archives, mes propres images, leurs photos, soit une histoire racontée par différents points de vue. Et pour chacun, un petit texte biographique apporte un éclairage.
Ce travail tient-il une place particulière dans votre parcours ?
C’est, de loin, mon travail le plus important – comme un socle – car c’est une expérience unique non seulement d’un point de vue de la relation humaine mais aussi photographique. Dans l’exposition aux Rencontres d’Arles, chaque personne a son “mur”, sous la forme d’une fresque qui, contrairement au livre, n’est pas chronologique. C’est l’idée d’une plongée verticale dans l’histoire d’une famille, avec des images et une vidéo.
Et à l’Hôtel des Arts de Toulon ?
A Toulon, l’exposition prend des formes très diversifiées autour de différentes séries sur les camps de Rivesaltes et de Saliers, des images noir et blanc classique réalisé en Roumanie en 1998. Il y a des installations, des vidéos, des tirages noir et blanc, des archives…
Le premier livre paru en 1999 chez Actes Sud s’appelait Tziganes, le second chez Xavier Barral Les Gorgan…
C’est une façon de faire sortir les membres de cette famille de l’anonymat et de leur donner une identité propre, de souligner le fait que je montre le destin individuel de chacun d’entre eux.
Propos recueillis par Sophie Bernard
Mathieu Pernot, Les Gorgan
Festival des Rencontres d’Arles
Du 3 juillet au 24 septembre
Maison des Peintres, Arles
France
Dans le cadre du Grand Arles Express à Toulon :
Mathieu Pernot, Survivances
Du 4 juillet au 1er octobre 2017.
Hôtel des Arts de Toulon.
236 boulevard Général Leclerc, 83000 Toulon
France
Livres
Mathieu Pernot, Les Gorgan
Publié par les éditions Xavier Barral
25 euros
Mathieu Pernot, Romania
Publié par les éditions Filigranes
25 euros