L’artiste expose une série d’instantanés au moment où les portes des trains s’ouvrent. Une expédition menée dans toute l’Europe centrale et la Russie. Promesse d’une âme salve qui entre en un souffle vivifiant pour l’œil du voyageur debout.
Certains ajoutent au cadre naturel de l’appareil photo un autre cadre. Marie Bovo en a fait une spécialité. Avec elle, le point sensible qui attrape l’œil se cache toujours derrière un premier rideau, sorte de cloison immédiate qui dit le lieu du photographe et forme comme les murs d’une cabane ou d’un cloître.
A bord du Transsibérien, nous sommes aux rives d’un marchepied. La porte est ouverte, l’air du blizzard investi les narines et donne le vertige de la blancheur d’une neige fraiche. Autour : les indices d’un train ordinaire – sinon quelque peu vétuste – avec ses portes rouges, ses signaux d’alarmes, ses rampes noires sur lesquels tant de mains se sont cramponnées avant d’entrer en gare ou bien pour entamer un voyage qui pourrait tout autant changer une vie que parfaire le même élan, sinon égarer.
Le train est ce lieu même où les histoires voyagent et se chevauchent, s’entremêlent, se téléportent. Espace de rencontre ou de solitude dans une course néanmoins commune. « Ceux qui m’aiment prendront le train », dit le titre d’un film du metteur en scène Patrice Chéreau et en Russie il est sûrement permis d’imaginer Anna Karénine se promener dans les couloirs des vieilles machines pourtant teintées de l’ère communiste et post-communiste. Toute la matière du rêve est là, dans ce transport, cet élan, cette machine qui beugle et se meut comme un tank porteur de fleurs.
Chambre étrange
L’acte photographique de Marie Bovo est une saisie de l’éternel qui est sous les fenêtres des trains – arbre, climat, terre – au cœur d’un passé coloré d’une surface mécanique abstraite – les trains de l’Europe centrale et de la Russie – où l’ « homme rouge » – parfois le soviet – est aussi l’homme des neiges, l’homme de la toundra, des grandes forêts sibériennes peuplées de petites maisons de bois où s’allument les feux d’hiver qui chassent les grands froids.
Marie Bovo cherche peut-être cette euphorie qui existe dans l’arrêt soudain d’un train après le balancement joyeux des rotules et le souffle des rails ; abrité tout en percevant la dureté d’un climat et le dénuement de ses habitants. Comme elle le dit elle-même : « À chaque arrêt du train, sans savoir sur quel paysage, sur quelles architectures, sur quelle lumière s’ouvriront les portes, j’installe la chambre photographique dans l’étroite plateforme d’entrée du wagon. Avant que les portes ne se referment comme un obturateur d’appareil photographique, la pellicule argentique s’est imprimée du lieu. »
Alors émerge cette chambre étrange où le voyageur a un pied dedans, un pied dehors. Quel chemin prend-t-il ? Descend-t-il ? Reste-t-il à bord ? Qui sait… Et justement, chez Marie Bovo il y a la curiosité de l’oiseau. Il s’y pose et il s’envole quand les portes se ferment. Peut-être ses photographies sont-elles un hymne à cette liberté ?
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Marie Bovo, Stances
Festival des Rencontres de la Photographie d’Arles 2017
Du 3 juillet au 24 septembre 2017
Arles, France