Sous le commissariat de Carolina Ponce de León, passée par la bibliothèque Luis Ángel Arango de Bogota, le Museo del Barrio de New York, la galerie de la Raza de San Francisco et le ministère de la Culture colombien, l’exposition dédiée à la Colombie déconstruit l’identité sociale, historique et environnementale du pays.
Sans surprise, le premier thème abordé est le conflit armé, « qui n’a fait que perpétuer une culture de la violence politique en Colombie au cours des six dernières décennies », peut-on lire dans le texte d’introduction. Sur ce sujet, le travail du jeune artiste Andres Orjuela (1985) à partir des archives visuelles d’un tabloïd bogotanais mérite le détour.
Détournant par annotations et re-contextualisation les nombreuses images de prisons, de meurtres, d’arrestations et autres violences, Orjuela s’attaque à une certaine forme de révisionnisme attaché à cet aspect de l’histoire colombienne. Certaines inscriptions au dos des photos sont ainsi corrigées, parfois aussi grossièrement qu’en raturant et ajournant l’originale sans se soucier de la crédibilité de la nouvelle information. C’est le cas d’une image de deux hommes se tenant devant des sacs plein de marijuana, dont la nouvelle légende indique sans complexe « trafiquants que coca » alors que déborde des fibres de jute de longues feuilles ciselées. Ce jeu sur l’altération des preuves n’est pas innocent dans un pays ou l’identité des morts était falsifiée pour enrichir leur meurtrier – c’est le cas du fameux scandale des faux positifs qui, fin 2008, a révélé que des membres de l’armée nationale colombienne assassinaient des civils innocents dans le but de les faire passer pour des guérilleros morts au combat et, ainsi, d’améliorer les résultats des brigades de combat. Son travail s’attache ainsi à révéler les discordances entre le discours politique de l’histoire et les preuves de ses mensonges.
C’est aussi à une certaine forme de révisionnisme que s’attaque Liliana Angulo (1974). Dans son travail, il s’agit de redonner à la communauté afro sa place, largement bafouée et méprisée, dans l’identité culturelle colombienne. Avec ce qui au fil de ses séries s’affirme comme un humour parfois corrosif, Angulo développe sa pratique artistique autour de la notion de négritude, décortiquant les clichés associés et leurs implications sociales et politiques. « Je travaille à partir du mot lui-même, ses différentes significations, les connotations qu’il a en espagnol et l’origine des expressions qui en découlent », explique-t-elle pour introduire sa démarche.
Dans « Negro Utipico » (2001), elle reprend l’esthétique afro des années 60-70, et notamment les coupes volumineuses qui ont fait le style disco. Habillant son modèle des mêmes nappes colorées qu’elle utilise en toile de fond, elle l’arme d’ustensiles ménagers pour mimer des postures évoquant la joie et la spontanéité. C’est le même procédé qu’elle déploiera cinq ans plus tard avec « Mambo Negrita » (2006), une femme a boubou noué au sommet du front reprenant les mêmes motifs à pois que le fond. En reprenant une esthétique chère aux photographes de studio du continent africain dans des poses incarnant des situations généralement associées aux blancs, elle ébranle les stéréotypes péjoratifs associés à la communauté afro-colombienne.
L’exposition accorde enfin une large place à la nature, depuis les premières explorations scientifiques jusqu’à aujourd’hui, ou le pays apparait comme l’un des plus riches au monde en termes de biodiversité. Et ce, avec un humour parfois pinçant, comme dans l’inventaire des plantes artificielles d’Alberto Baraya (1968).
Laurence Cornet
Laurence Cornet est journaliste spécialisée en photographie et commissaire d’exposition indépendante. Elle partage sa vie entre New York et Paris.
La Vuelta
Festival des Rencontres de la Photographie d’Arles 2017
Du 3 juillet au 24 septembre 2017
Arles, France