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Arles 2016 : Rencontre avec Stéphanie Solinas

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Organisée dans le cadre du Grand Arles Express des Rencontres, l’exposition « Dominique Lambert » de Stéphanie Solinas est visible au Carré d’Art de Nîmes. Dans le prolongement de cette première exposition, une seconde intitulée « La méthode des lieux » est visible au Cloître Saint-Trophime à Arles. Nous avons rencontré la jeune photographe française quelques jours avant l’inauguration de ses deux expositions. Voici l’entretien.

Pourquoi la halle Lustucru vous a-t-elle fascinée et donné envie d’entamer un nouveau processus ?
Ce processus a été réalisé dans le cadre d’une résidence d’un an à l’invitation de Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles et de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Le point de départ était un élément ancré dans le territoire arlésien. La Halle Lustucru et son histoire a tout de suite fait écho aux questions qui traversent mon travail : le regard que l’on pose sur l’Autre, les systèmes qui organisent la réalité, etc. Ce bâtiment aujourd’hui arlésien (dans les faubourgs de la ville), friche industrielle à l’abandon, ouverte aux 4 vents, a abrité depuis les années 50 et jusqu’en 2003 l’usine “Lustucru” et était un hangar de stockage de riz, jusqu’à ce que l’inondation d’Arles marque la fin de l’occupation industrielle du site. A suivi une lutte sociale de 21 mois des ex-salariés pour conserver cet outil de production, qui n’a pu aboutir. Il y a quelques années la structure métallique de ce hangar agricole a été identifiée comme ayant eu une première vie en tant que structure du bâtiment principal de l’Exposition Coloniale de Marseille en 1906, le Grand Palais. Tout l’enjeu pour moi était donc de chercher à saisir toute la richesse et la complexité de cette histoire, toutes ces identités, celle du bâtiment, celles des hommes et femmes qui l’ont peuplé, face aujourd’hui à quelque chose qui visuellement n’est pas accessible. Comment, par la photographie, remonter le temps, quels éléments nous permettent d’accéder à cette réalité aujourd’hui invisible.

Quels protocoles avez-vous mis en oeuvre pour ce nouveau chantier ?
Dans mon travail, il m’importe de saisir au mieux les choses qui sont juste là, face à nous, de les comprendre, de les articuler. Souvent, pour cela, je les organise à travers la constitution d’un dispositif précis, mes 2 outils étant l’image photographique et la construction d’un système, d’un dispositif. Au final c’est la même chose, un principe de camera obscura. On vient quadriller cette réalité face à nous, orienter notre regard, le diriger, le segmenter. Pour moi, organiser permet de mieux saisir, d’extraire du sens face à une réalité foisonnante. Face à la mémoire et l’invisibilité de cet objet que je tentais de saisir il y a eu 2 grands axes et moments :
Le premier a été de rencontrer des personnes qui, soit par leur connaissance, soit par leur expérience propre, pouvaient éclairer un moment de cette halle. Je les ai réunies en novembre à la Salle des fêtes d’Arles. J’ai utilisé un outil sociologique qui s’appelle « Social photomatrix » qui se fonde sur des photographies pour permettre un échange en groupe, une parole, de verbaliser des choses parfois difficiles. J’ai suivi ce dispositif que j’ai un peu adapté avec l’aide du Dr Barbe, psychiatre qui connait et utilise cet outil depuis plus de 20 ans. J’ai invité 13 personnes : documentaliste-bibliothécaire des Archives municipales de Marseille, historienne de la photographie, historienne de l’architecture, expert en bâtiments métalliques, botaniste, médium, héritier du fonds Detaille, personne en charge du patrimoine à la mairie d’Arles, ancien salarié de l’usine Lustucru, etc. Tous devaient apporter une image qui représentait leur lien à cette halle. À partir de cette rencontre, j’ai réalisé une vidéo, qui occupe le rez-de-chaussée du cloître Saint-Trophime. Cette vidéo dure 17 minutes et s’appelle « 21 mois, dernier vestige ».

Quelles autres pièces seront exposées à Saint-Trophime ?
A l’étage se déploie le deuxième axe de mon exploration : une installation photographique qui mêle des images d’archives, des images et des vidéos que j’ai réalisées, organisées sous une forme chronologique afin de suivre à la fois le parcours géographique de cette halle qui est partie de Marseille et le parcours temporel entre 1906 et aujourd’hui, qui propose une vision des 110 ans de l’histoire de cette halle.

En quoi l’architecture et sa mémorisation rejoignent-elles vos recherches sur le rapport entre l’identité et l’image ? Comme par exemple à travers ces portraits manquants des Déserteurs
L’identité c’est comme le passé de cette halle, quelque chose qui n’a pas de réalité saisissable directement. Que peuvent la photographie et l’image pour accéder à ces réalités invisibles et comment la représentation qu’elles en donnent nous permet d’y accéder ? Tout est lié car il n’y a pas d’identité sans mémoire et de mémoire sans identité. C’est Paul Ricoeur qui parle d’identité narrative. La narrativité, c’est définir son identité par une somme d’histoires c’est-à-dire une capacité à reconvoquer des éléments du passé pour se définir. Le lien est direct et naturel.

Pouvez-vous me commenter cette image, sur le mur de votre atelier qui représente un bras sur lequel court une plante.
J’ai travaillé avec Nicole Yavercovski, botaniste à la Tour du Valat (station biologique en Camargue) qui est venue dans la halle faire le relevé de toutes les plantes qui s’y développent, seul élément vivant qu’elle abrite aujourd’hui. J’ai voulu savoir d’où elles venaient, plusieurs espèces étant sauvages, ce qui m’intéressait par rapport à l’histoire. On a prélevé ces plantes en novembre, j’ai fait un herbier, travail de mémoire qui les a aplaties et séchées. C’était essentiel à mes yeux de les présenter en lien avec le passé. La mémoire est quelque chose qui s’active par l’intermédiaire de personnes actuelles et contemporaines. Ces plantes que je manipulais avec beaucoup d’attention dégageaient une image de la mémoire fragile. Alors j’ai eu envie de travailler avec un modèle qui, en écho avec cette fin de vie de la halle, très dure, inscrivait ces gestes, doux et violents en même temps. Ce travail participe donc à la fois de l’herbier et d’un répertoire de gestes, de préservation et d’affirmation du corps.

Y a-t-il des correspondances ou des liens sous-jacents avec votre autre exposition au Carré d’Art, les « Dominique Lambert » ?
Oui dans la globalité de mon travail car c’est finalement une autre proposition de l’exploration de la question de l’identité et du collectif ou comment cela s’inscrit à chaque fois dans un point de contact entre un individu et le collectif. Je l’ai perçu très fortement dans la Méthode des Lieux et c’était également le point de départ de mon travail sur les « Dominique Lambert », cette population de 191 homonymes, cette tension entre l’individuel et le collectif. Cela m’intéresse de voir comment un individu au plus proche de son histoire peut entrer en résonance avec une histoire plus collective. Néanmoins, dans les temporalités, cela reste des projets très différents, étant donné que j’ai mené les « Dominique Lambert » pendant 7 ans, avec aujourd’hui cette dernière pierre du projet qui est le livre que j’édite avec RVB Books, point final du projet par sa diffusion.

Quelle forme cela prendra-t-il au Carré d’Art ?
C’est la première fois que je vais monter « Dominique Lambert » de cette manière. L’édition limitée parue en 2010 a eu de nombreux échos mais le projet a finalement été peu montré dans sa forme première qui est un coffret de 21 livres dépliables présenté au CPIF. Au Carré d’art, j’ai voulu le montrer de manière totalement inédite, en centrant la proposition sur le collectif et le dispositif, plutôt que sur les séquences individuelles (chaque livre étant un individu dont les représentations se multiplient avec les 6 étapes que je travaille). Au Carré d’art, pour la première fois, on va voir les portraits chinois originaux et l’ensemble des portraits chinois, des portraits du comité, les portraits originaux dessinés par Benoît Bonnemaison-Fitte, les portraits-robots originaux fabriqués par la police, les photographies déployées en grand format, les photographies d’identité originales envoyées par les Dominique Lambert. C’est un retour à l’articulation même du dispositif. Les 191 Dominique Lambert vont être « là », ce qui me plait beaucoup.
Quels sont vos prochains axes de recherche ?
J’ai commencé d’autres recherches dans le cadre d’une résidence en Islande en 2014, que je prolonge actuellement en Italie, et bientôt aux USA, dans lesquelles j’interroge les limites de l’identité.
Comment vous définiriez-vous : artiste, sociologue,chercheur, anthropologue ?
J’ai toujours un mélange de méfiance et de curiosité pour les définitions. Ce que je dis souvent à mes étudiants, c’est que l’art est un outil incroyable pour faire se rencontrer des personnes, des formes, générer des choses qui ne seraient pas advenues dans un autre contexte, de croiser des disciplines de manière très libre. En cela, me définir comme artiste me convient. J’aime voir la réception de ce travail à la croisée de plusieurs disciplines, quel label, quelle étiquette lui est attribuée. Ce qui m’a toujours plu dans la photographie, c’est le fait qu’elle est un médium très commun, que tout le monde s’en saisit, ce qui n’est pas le cas d’autres médiums artistiques, et peut être que c’est cette proximité, cette familiarité qui nous donne envie d’aller chercher du côté des frontières.

EXPOSITIONS
Dans le cadre des Rencontres d’Arles
• La méthode des lieux
Stéphanie Solinas
Du 4 juillet au 28 août 2016
Cloître Saint Trophime
13200 Arles
France
• Dominique Lambert
Du 5 juillet au 16 octobre 2016
Stéphanie Solinas
Carré d’Art (Nîmes)
France
http://www.rencontres-arles.com
http://www.stephaniesolinas.com

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